Voir plus
Voir moins

Les ravages de la cyberintimidation

Une étude lève le voile sur les conséquences de la cyberintimidation chez les jeunes du secondaire.

Par Pierre-Etienne Caza

17 novembre 2014 à 11 h 11

Mis à jour le 17 novembre 2014 à 14 h 11

Au cours des dernières années, la prolifération des téléphones intelligents et la popularité sans cesse grandissante des médias sociaux, comme Facebook et Twitter, ont contribué à l’apparition d’une nouvelle forme d’intimidation chez les jeunes: la cyberintimidation, entre autres par messages textes et photomontages. «La cyberintimidation touche plus d’un jeune sur cinq au Québec et est associée à la détresse psychologique et à une faible estime de soi», affirme Jude Mary Cénat, stagiaire postdoctoral au Département de sexologie et cosignataire d’un article publié dans Journal of Affective Disorders.

Au sein de l’équipe des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) sur les traumas interpersonnels, dirigée par la professeure Martine Hébert, du Département de sexologie, Jude Mary Cénat a procédé à l’analyse de données recueillies dans le cadre de l’Enquête sur les parcours amoureux des jeunes, une vaste étude longitudinale effectuée depuis 2011 auprès d’adolescents québécois. L’échantillon était composé de 8 194 participants (56,3 % de filles), dont l’âge moyen était de 15,4 ans, provenant de 34 écoles secondaires du Québec – 3e, 4e et 5e secondaire.

Des résultats inquiétants

«Ce sont les données les plus récentes sur le sujet au Québec», note le chercheur à propos de son étude qui visait à déterminer l’impact de la cyberintimidation sur le niveau de détresse psychologique et d’estime de soi des jeunes.

Jude Mary Cénat

Au cours de l’année précédant l’enquête, 22,9 % des jeunes disaient avoir vécu de la cyberintimidation, révèle Jude Mary Cénat. Chez les filles, ce chiffre grimpait à 26,4 %, soit 1 fille sur 4 – alors qu’il était de 18,1 % du côté des garçons. «Nous savions que le phénomène était répandu, mais c’est néanmoins surprenant qu’il le soit autant, dit le chercheur. De plus, la cyberintimidation est la seule forme d’intimidation étudiée pour laquelle nous observons une différence de genre.»

Environ 40 % des jeunes participants à l’étude rapportent avoir vécu une détresse psychologique et le tiers d’entre eux a souligné ressentir une faible estime de soi. Cependant, si on observe uniquement les jeunes ayant été victime de cyberintimidation, c’est près de 3 sur 5 (57,6 %) qui déclarent avoir vécu une détresse psychologique et plus de 2 sur 5 (43 %) qui disent éprouver une faible estime de soi. «C’est énorme! note Jude Mary Cénat. Cela démontre que la cyberintimidation a des conséquences importantes sur les jeunes.»

Pistes de solution

«Cette violence indirecte, souvent le fruit d’agresseurs désinhibés qui se cachent derrière leur écran, doit cesser d’être minimisée et tolérée, poursuit le chercheur. La sensibilisation collective à cette forme d’intimidation, à son ampleur et, surtout, à son impact sur le bien-être et la santé mentale des jeunes qui en sont victimes, doit se faire dès aujourd’hui. Pour cela il faut impliquer les parents, les enseignants, les psychologues en milieu scolaire, etc.»

Il faut surtout faire comprendre aux jeunes qu’il est normal de ressentir de la tristesse et un malaise lorsqu’on vit de la cyberintimidation. «Une jeune victime n’a pas nécessairement le goût d’en parler, mais il faut pourtant l’amener à le faire, même si cela n’est pas facile. Pour cela, il faut être en mesure de l’écouter, puis de l’informer de tous les recours et services à sa disposition.»

D’autres résultats à venir

L’article coécrit par Jude Mary Cénat a servi de base pour la rédaction d’une capsule scientifique réalisée par le Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles (CRIPCAS). Cette capsule a été distribuée lors du Forum sur la lutte contre l’intimidation, organisé par le premier ministre du Québec le 2 octobre dernier et auquel a participé le recteur de l’UQAM. «Il s’agissait d’identifier les faits saillants des résultats pour les intervenants psychosociaux, les jeunes et les décideurs publics», précise le stagiaire postdoctoral.

Jude Mary Cénat travaille à la rédaction d’autres articles, lesquels se pencheront notamment sur l’intimidation et la cyberintimidation homophobe, en lien avec l’idéation suicidaire et les tentatives de suicide, de même que sur l’intimidation et l’utilisation de substances – marijuana, alcool, etc. – par les jeunes victimes. «Nos résultats découlaient jusqu’à maintenant des premiers temps de mesure de l’étude, en 2011. Nous observerons bientôt si le phénomène a progressé avec les résultats des autres temps de mesure», conclut-il.