
Depuis plusieurs années, les rapports entre motricité et langage exercent une véritable fascination, en particulier dans le domaine des neurosciences. Les chercheurs tentent de cerner les interactions entre les fonctions motrices et langagières en vue de mieux comprendre leur influence réciproque. Pour ce faire, ils utilisent de nouvelles technologies d’observation, notamment la neuro-imagerie et la stimulation cérébrale.
Leurs avancées font l’objet d’un ouvrage collectif, Le langage au bout des doigts, paru récemment aux Presses de l’Université du Québec sous la direction de Victor Frak, professeur au Département de kinanthropologie et directeur du Groupe de recherche clinique cerveau, motricité, langage, et de Tatjana Nazir, directrice de recherche au Laboratoire sur le langage, le cerveau et la cognition de l’Université Lyon 1, en France.
«Cet ouvrage, auquel ont collaboré des chercheurs réputés d’ici et de l’étranger, présente une revue actualisée du sujet qui permet d’explorer les bases neurologiques des liens unissant le langage et la motricité et de comprendre le fonctionnement des réseaux cérébraux associés à la production du langage et à l’activité motrice, explique Victor Frak. Il montre aussi comment les connaissances dans ce domaine peuvent contribuer à améliorer les pratiques en éducation et en rééducation auprès de personnes ayant des déficiences, des difficultés ou des retards sur les plans moteur et langagier.»
La première partie de l’ouvrage porte sur les bases anatomiques des liens entre motricité et langage. «On y explique, entre autres, la participation de l’aire motrice primaire du cerveau à la production du langage et les structures neuro-anatomiques associées aux mots d’action. Il a été démontré que l’énonciation de phrases ou de verbes décrivant une action – mordre, applaudir, marcher – implique l’aire motrice primaire du cerveau en plus des aires du langage», souligne le chercheur. D’autres chapitres présentent les propriétés cinématiques des membres supérieurs durant l’activité linguistique ainsi que les liens entre le langage et la motricité lors de la production d’actes moteurs volontaires. La seconde partie est axée sur l’application des connaissances dans le cadre de processus d’apprentissage et de réadaptation.
Des relations étroites
La possibilité ou non de délimiter les aires cérébrales correspondant aux fonctions motrices et langagières a été au cœur de controverses au cours des dernières années. «Certains chercheurs estimaient qu’il était impossible de les localiser de façon précise, tandis que d’autres considéraient que différentes régions du cerveau s’influençaient et s’activaient au même moment, générant ainsi une sorte de synchronisation des fonctions motrices et langagières», explique Victor Frak. Aujourd’hui, un nombre croissant d’études scientifiques tendent à démontrer une relation étroite entre les régions du cerveau activées lors de l’exécution d’une action et celles participant à la production du langage. «Des assemblées de neurones, bien que topographiquement éloignées les unes des autres, forment un réseau permettant d’illustrer les liens fonctionnels entre la motricité et le langage», précise le professeur.
Certaines recherches ont dressé la cartographie des liens unissant le langage et la motricité au moyen de l’électrophysiologie. Selon ces travaux, il y aurait un enracinement, au moins partiel, des processus sémantiques langagiers dans le système sensorimoteur. «Bien que les recherches doivent se poursuivre, il semble que des éléments de ces processus émergent de nos expériences corporelles et continuent d’être guidés par celles-ci», observe Victor Frak.
Quelles retombées?
Les résultats des recherches sur les liens entre la motricité et le langage pourraient avoir des retombées importantes en ce qui concerne la compréhension des processus d’apprentissage et de communication et en matière de rééducation de patients aphasiques ou de personnes ayant des lésions cérébrales qui affectent leurs capacités d’adaptation motrices ou langagières.
«L’étude de l’évolution des liens entre les fonctions motrices et langagières chez l’enfant, à différents stades de sa croissance, pourrait s’avérer essentiel en vue d’optimiser par l’activité motrice le développement cognitif et comportemental. Elle est aussi susceptible d’offrir des pistes de solution pour le traitement des troubles d’apprentissage», soutient le professeur.