À l’ère du numérique, du multimédia et de l’hypertexte, puis du livre électronique, l’imprimé a été remis en question plus d’une fois. Judith Poirier et Angela Grauerholz, professeures à l’École de design, voient cela d’un autre œil. «Le livre imprimé continue d’exercer une séduction grâce à ses qualités physiques et tactiles et au rapport intime qu’il permet d’établit avec le lecteur. Contrairement à l’écran, il offre une expérience sensorielle», souligne Judith Poirier.
La question sera au centre de l’événement La chose imprimée,présenté au Centre de design, du 23 au 25 janvier prochains. Organisé par les deux professeures, cet événement réunira une exposition, une foire du livre, des conférences et un atelier de création, qui permettront au public de redécouvrir le livre comme lieu de création. Des chercheurs et des étudiants de différentes disciplines (design, études littéraires, architecture et musique) et des représentants du milieu – designers, éditeurs, conservateurs, imprimeurs et relieurs – seront sur place pour discuter et échanger autour des propriétés de l’imprimé.
La chose imprimée s’inscrit dans le prolongement d’un projet de recherche-création dirigé par Judith Poirier et Angela Grauerholz. «Nous nous intéressons moins au livre comme objet utilitaire qu’au livre en tant qu’espace d’expérimentation, explique Judith Poirier. Depuis les années 80 et 90, plusieurs designers, au Québec et ailleurs, ont exploré la matérialité de l’imprimé – format, proportions, typographie, iconographie, papier, reliure – et son potentiel créateur.» En fait, le phénomène remonte même au XIXe siècle, rappelle la professeure. «À cette époque, le recueil de poésie Jamais un coup de dés n’abolira le hasard, de Stéphane Mallarmé, avait fait l’objet d’une mise en page non conventionnelle. L’utilisation des blancs pour marquer les pauses et les silences transformait l’expérience de la lecture.»
Judith Poirier, qui donne le cours Typographisme : illustration, observe un grand intérêt pour el sujet chez ses étudiants. «Ils aiment l’apect physique du livre, le papier et l’odeur de l’encre», dit-elle.
Pour voyants et non-voyants
L’exposition regroupera les explorations en cours dans le cadre du projet de recherche-création La chose imprimée et présentera des ouvrages témoignant de l’évolution de la démarche de designer-auteur ainsi que des projets de livres réalisés par des étudiants en design graphique.
Lors du vernissage du 22 janvier, le livre sans encre Résidus visuels sera lancé. Cet ouvrage, destiné à la fois aux voyants et aux non-voyants, allie braille et lettres en relief et convie le lecteur à une expérience sensorielle. «Le thème est la lecture tactile, note Judith Poirier. Nous avons suivi le processus inverse de l’édition traditionnelle. Nous avons d’abord exploré la forme pour ensuite penser au contenu. Johanne Jarry, auteure et chargée de cours au Département d’études littéraires, a écrit de courts textes poétiques que le lecteur peut parcourir avec ses mains, en se baladant entre les pages.»
Parallèlement à l’exposition, des libraires et des distributeurs spécialisés en art et design seront présents avec une collection de livres et de magazines actuels : Formats, CCA, New Distribution House.
Atelier de création
Le public est invité à venir assister à un cours d’initiation à l’inuktitut (dialecte de la langue inuit), donné par Georges Filotas, professeur d’inuktitut et collaborateur de La chose imprimée, et à observer l’atelier de création des étudiants du cours Typographisme : illustration. Ces derniers produiront un livre en trois jours, dans la salle d’exposition du Centre de design, en utilisant une presse typographique et une police de caractères en bois. Les pièces modulaires de cette police permettent de construire les signes de notre alphabet ainsi que le syllabaire inuktitut.
Journée d’étude
Le 24 janvier, une journée d’étude alternant tables rondes et conférences réunira des designers graphiques, des professeurs, des étudiants et des acteurs du milieu de l’édition: libraires, distributeurs, responsables de collection. Cette journée permettra de réfléchir et d’échanger sur l’édition contemporaine, en abordant des questions comme la contribution du designer au contenu de l’imprimé, l’expérimentation et les nouvelles formes de distribution. «Les frontières se brouillent de plus en plus entre les publications – livres et magazines – et entre les différents métiers et professions, note la professeure. Il n’est pas rare que des designers concepteurs jouent à la fois un rôle de producteur, d’éditeur et de distributeur.»
Judith Poirier a invité, entre autres, d’anciens diplômés, comme Didier Lerebours, fondateur de New Distribution House, ainsi qu’Élisabeth Lafrenière, Mireille St-Pierre et Audrey Wells, du collectif Hôtel Jolicoeur, lequel réunit des auteurs, des photographes, des illustrateurs et des designers autour d’un projet de livre de fiction. Celui-ci vise à explorer, par sa forme et son contenu, l’imaginaire qu’évoque une ancienne maison close, l’hôtel Jolicoeur, situé autrefois à l’angle des rues Ontario et Papineau et aujourd’hui transformé en condos.