À l’occasion du sommet du 10 mars sur l’agrile du frêne, réunissant 19 maires d’arrondissement de Montréal et ceux d’une quinzaine d’autres villes, certains médias ont fait écho à la menace représentée par cet insecte extrêmement ravageur qui s’attaque à toutes les essences de frêne.
«Si on ne fait rien, l’agrile pourrait faire disparaître dans dix ans plus de 200 000 frênes à Montréal, soit 23 % de l’ensemble des arbres. Le même phénomène a été observé dans certaines villes aux États-Unis, notamment à Détroit», souligne Daniel Kneeshaw, professeur au Département des sciences biologiques et à l’Institut des sciences de l’environnement. La présence de l’agrile a aussi été détectée dans de nombreuses municipalités de la Montérégie, à Laval, à Boisbriand et plus récemment à Terrebonne.
Les frênes sont une espèce d’arbre pouvant atteindre 15 à 20 mètres de hauteur et pouvant vivre plus de 100 ans. Ils occupent une place importante dans le paysage urbain et rural, se retrouvant couramment le long des rues, dans les parcs et les boisés. On trouve même du frêne noir à la Baie James, le long des rivières.
Originaire d’Asie, l’agrile a été repéré au Canada et aux États-Unis en 2002. Au Québec, on a détecté sa présence à Carignan, en Montérégie, vers 2008, et à Montréal, il y a trois ans environ.
Plus de 100 millions de frênes ont déjà été abattus en Amérique du Nord à cause de l’agrile. Une véritable hécatombe. Selon Daniel Kneeshaw, la plupart des insectes ne peuvent pas voler sur une distance dépassant 200 mètres. Comment expliquer alors la propagation de l’agrile ? «Comme cet insecte passe la majeure partie de sa vie sous l’écorce des arbres, il est facile de le déplacer avec le transport du bois de chauffage et de produits de frêne, favorisant ainsi la propagation des foyers d’infestation», observe le chercheur, qui est aussi membre du Centre d’étude de la forêt.
De graves conséquences
Les conséquences sur l’environnement et la santé, sur la qualité de l’air notamment, sont particulièrement sérieuses. «Les frênes font partie de l’écosystème naturel, note Daniel Kneeshaw. Aux États-Unis, une étude du US Forest Service a associé l’augmentation de décès dus à des maladies des voies respiratoires et cardiovasculaires, dans dix États américains, à la perte de la canopée forestière, elle-même provoquée par une épidémie de l’agrile du frêne.» La canopée forme une strate supérieure de quelques mètres d’épaisseur où se trouve plus de 80 % du feuillage des arbres. Elle permet de réduire les effets des îlots de chaleur et ceux des polluants atmosphériques. «On comprend que la ville de Montréal veuille augmenter la canopée forestière et contrer la disparition des frênes. Ces derniers protègent également des intempéries en filtrant les précipitations d’eau qui pénètrent dans les égouts et qui affectent les infrastructures déjà vieillissantes», dit le professeur.
Une stratégie efficace pour contenir l’infestation devrait comporter divers volets, poursuit Daniel Kneeshaw. «D’abord, il est important d’abattre rapidement les arbres les plus infectés, condamnés à mourir à plus ou moins brève échéance, avant qu’ils ne deviennent une source de contamination. On doit aussi se doter d’un programme de dépistage précoce afin de repérer les secteurs problématiques, puis traiter les arbres avec le pesticide TreeAzin, qui empêche la femelle de se reproduire, en vue de contrôler l’infestation. Cela permettrait de gagner du temps et de planter d’autres essences d’arbres.»
Dans le récent budget, le maire de Montréal, Denis Coderre, a prévu 3,8 millions de dollars pour enrayer l’épidémie. Le maire de Rosemont-La Petite-Patrie, François Croteau, réclame pour sa part un fonds d’urgence de 10 millions de dollars pour faire face à la crise. «Il y a péril en la demeure, dit le chercheur. Souhaitons que les décideurs publics, à tous les niveaux, prendront rapidement les mesures qui s’imposent.»
On peut être attentif à certains signes qui démontrent qu’un frêne est possiblement infecté par l’agrile: perte de feuilles et branches mortes dans le haut de l’arbre; cime anormalement dégarnie; pousses de branches et de feuilles dans la partie inférieure du tronc, où il n’y en avait pas auparavant; activité anormalement élevée des pics; fentes dans l’écorce, rainures en forme de «S» sous l’écorce, trous en forme de «D», de 3,5 à 4 millimètres.