
Chansons, romans populaires, films, radioromans, téléromans, variétés radiophoniques et télévisuelles sont le sujet d’un intérêt grandissant dans le monde universitaire. Les professeurs Chantal Savoie, du Département d’études littéraires, et Pierre Barrette, de l’École des médias, ont obtenu une subvention de près de 100 000 $ de la Fondation canadienne pour l’innovation afin de mettre sur pied un Laboratoire de recherche sur la culture de grande consommation et la culture médiatique du Québec.
Les deux chercheurs souhaitent d’abord créer une base de données. Mise à jour en continu et nourrie par des dizaines de projets de recherche, celle-ci regroupera des fiches signalétiques consignant des renseignements descriptifs sur les productions culturelles, des années 1920 à aujourd’hui, qui ont fait l’objet de recherches universitaires. «Dans le contexte des humanités numériques, ce qui n’existe pas sous forme numérique est difficile à pérenniser, souligne Chantal Savoie. Il faut arrêter de réinventer la roue et s’assurer que les recherches qui existent sur la culture de grande consommation et la culture médiatique soient répertoriées dans une base de données. Je pense, entre autres, aux travaux des anciennes professeures de l’UQAM Danielle Aubry et Giulia Bettinotti, et de la professeure associée Renée Legris.»
Le second volet du projet sera d’annoter les fiches descriptives à l’aide d’un système de métadonnées qui permettra de les relier entre elles. «Nous espérons que cet ensemble de données nous permettra de comprendre comment la culture de grande consommation et la culture médiatique s’est forgée au Québec, explique Chantal Savoie. Nous cherchons à faire émerger de toutes ces pratiques culturelles un grand récit ou différents sous-récits qui nous renseigneront sur la façon dont le Québec s’est modernisé, a construit son identité et s’est doté d’un imaginaire culturel largement partagé.»
Une culture peu étudiée
Spécialiste en théorie de la télévision, Pierre Barrette travaille sur la notion de célébrité en lien avec les émissions de variétés et les jeux télévisés des années 1960. «Les téléromans des années 1960 ont été étudiés parce qu’on pouvait facilement les relier à une tradition littéraire – leurs auteurs étaient des écrivains, dit-il. Mais Michel Louvain qui anime une émission de variétés et pousse la chansonnette devant un parterre de madames, c’est une tout autre forme de culture.»
Or, cette culture de grande consommation, qui a pris de plus en plus de place avec les années, n’a jamais été légitimée dans les hautes sphères du savoir. «Elle a été étiquetée comme étant “quétaine” et pourtant elle constitue un récit de la vie culturelle du Québec», ajoute Pierre Barrette.
«Dans le monde anglo-saxon, les cultural studies tentent depuis 20 ans de légitimer les recherches portant sur des objets de la culture populaire, souligne Chantal Savoie. Nous sommes les héritiers de ce mouvement.» La spécialiste de la chanson sentimentale travaille actuellement sur les préférences musicales des lectrices du Bulletin des agriculteurs, dans les années 1940.
La culture populaire, qui est un objet à plusieurs facettes, cadre mal avec les spécialisations universitaires, précise la professeure. «D’où la pertinence d’un laboratoire multidisciplinaire comme le nôtre, qui met en valeur la culture contemporaine, les études sur les médias et les études québécoises en faisant appel aux forces de la Faculté des arts et de la Faculté de communication.»
Un pôle d’ancrage pour les étudiants
«J’ai l’espoir d’initier les étudiants au plaisir de la recherche culturelle historique, poursuit Chantal Savoie. C’est bien de vouloir étudier des phénomènes culturels comme La Voix ou Occupation double, mais nous n’avons pas suffisamment de recul pour le faire adéquatement. La distance historique est un atout quand on étudie un objet culturel populaire.»
En novembre dernier, une table ronde sur la culture populaire et de grande consommation a permis aux deux chercheurs de constater l’intérêt des étudiants de deuxième et troisième cycle pour le domaine. Les présentations entendues portaient sur des sujets aussi variés que la rhétorique du rap, les émissions de cuisine à la télévision, les textes des humoristes et la musique des films populaires des années 1960. «Nous espérons que notre laboratoire deviendra un pôle fédérateur et rassembleur pour tous ces chercheurs, souligne Pierre Barrette. Quand nous aurons intégré à nos outils les données provenant de plusieurs recherches, sur plusieurs objets et sur plusieurs périodes, nous pourrons tisser des liens et voir apparaître des flux, des récits qui ont donné à la culture populaire et médiatique du Québec sa couleur et sa spécificité.»
Trois laboratoires au CRILCQ
Le Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoise (CRILCQ) de l’UQAM compte désormais trois importantes infrastructures de recherche: le Laboratoire international d’étude multidisciplinaire comparée des représentations du Nord, dirigé depuis 2003 par le professeur Daniel Chartier, du Département d’études littéraires; le Laboratoire de recherche sur la culture de grande consommation et la culture médiatique du Québec des professeurs Chantal Savoie et Pierre Barrette; et le Laboratoire d’études numériques sur l’histoire de l’art au Québec (LÉNHAQ), dirigé par les professeurs Dominic Hardy et Esther Trépanier, du Département d’histoire de l’art.
Ce nouveau laboratoire vient également d’obtenir un financement de la Fondation canadienne pour l’innovation. S’articulant autour des travaux de l’Équipe de recherche en histoire de l’art au Québec (ÉRHAQ), le LÉNHAQ entend soutenir plus particulièrement le projet de recherche «Histoire de l’art au Québec. État des lieux (1600-1960)», également dirigé par Dominic Hardy et Esther Trépanier. Le laboratoire créera et rendra disponible à une communauté internationale de chercheurs des répertoires d’oeuvres, d’artistes, d’acteurs et d’institutions ayant participé au développement des pratiques artistiques au Québec et à leur mise en récit. Les répertoires que le LÉNHAQ rendra accessible prendront la forme de bases de données relationnelles dynamiques, organisées en quatre grandes catégories: archives et bases de données des chercheurs, recensements et dépouillements des archives, bibliographie exhaustive des travaux historiques sur l’art au Québec, iconographie exhaustive.