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Journalisme à deux vitesses ?

Chantal Francoeur mène une recherche sur les liens entre journalistes et relationnistes.

Par Claude Gauvreau

16 mai 2014 à 17 h 05

Mis à jour le 17 septembre 2014 à 19 h 09

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Selon Chantal Francoeur, les rapports de force entre journalistes et relationnistes semblent se reconfigurer. 

En 2001, le Québec comptait 4 000 journalistes, 13 000 relationnistes et 15 000 professionnels en marketing, selon des chiffres fournis par Emploi Québec. Aux États-Unis, le rapport State of the News 2013 du Pew Research Center indique que le ratio entre professionnels des relations publiques et journalistes est passé de 1,2 en 1980 à 3,6 en 2008. «On peut dire sans crainte de se tromper qu’il y a au moins trois relationnistes pour un journaliste au Québec, dit Chantal Francoeur, professeure à l’École des médias. Conscients de leur infériorité numérique, plusieurs journalistes se disent préoccupés par l’influence croissante de l’industrie des relations publiques dans le monde des communications.»

La chercheuse, qui a été journaliste à la radio de Radio-Canada pendant près de 15 ans, mène une étude sur les liens entre journalistes et relationnistes, en collaboration avec sa collègue Sophie Boulay, professeure à l’Université du Québec à Trois-Rivières. Elles ont présenté les résultats préliminaires de leur recherche dans le cadre d’un colloque tenu au congrès de l’Acfas, le 14 mai, intitulé Relationnistes, journalistes, attachés politiques et spécialistes du marketing: opposants, concurrents, partenaires?

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Chantal Francoeur. Photo: Nathalie St-Pierre.

«Nous cherchons à savoir dans quelle mesure la transformation de l’organisation du travail journalistique dans le contexte de convergence des entreprises de presse a modifié les rapports entre journalistes et relationnistes, explique Chantal Francoeur. Les tâches des journalistes se sont accrues, les plateformes à alimenter, comme Twitter et Facebook, se sont additionnées et les heures de tombée se sont multipliées. Il s’agit de voir si ces changements font en sorte que les journalistes utilisent de façon plus systématique le matériel fourni par les relationnistes, instaurant ainsi une sorte de convergence entre les deux univers et renforçant l’influence des relations publiques sur le contenu même de l’information.»

Les deux chercheuses ont d’abord examiné les pages couvertures des quotidiens La Presse, Le Devoir et le Journal de Montréal et ont procédé à un codage des articles au moyen d’une liste «d’éléments de relations publiques»: extrait d’un communiqué de presse, citation d’un porte-parole, référence à une conférence de presse, site Web, etc. «Certains éléments d’information provenaient clairement des relations publiques, tandis que d’autres étaient plus difficiles à coder, note la professeure. L’analyse de contenu seule ne permet pas d’appréhender la totalité des influences des relations publiques. Il faut aussi observer le processus de rédaction d’un article et l’ensemble des interactions entre les relationnistes et les journalistes.»

Distinguer l’idéologie et la pratique

Chantal Francoeur et sa collègue ont réalisé par la suite une dizaine d’entretiens semi-dirigés avec des journalistes, portant sur leurs rapports avec les relationnistes.   

L’analyse du discours tenu par les journalistes montre qu’il faut distinguer l’idéologie professionnelle et la pratique réelle. «Conformément au discours institutionnel de leur profession, les journalistes estiment qu’ils ne sont pas du même côté de la clôture que les relationnistes. Pour eux, les journalistes sont des serviteurs de l’intérêt public, tandis que les relationnistes sont des relais d’intérêts privés. Cette distinction demeure fondamentale à leurs yeux», observe la chercheuse. En même temps, les  journalistes reconnaissent que les relationnistes les aident à obtenir des données factuelles et à avoir accès à des sources. «Ils soutiennent qu’ils n’ont pas le choix, dans la pratique, d’échanger des informations, d’établir des liens étroits, voire de faire équipe avec les professionnels des relations publiques.»

Selon Chantal Francoeur, les rapports de force entre journalistes et relationnistes semblent se reconfigurer. «Les journalistes ne diront jamais qu’ils sont dépendants des relationnistes, mais on sent qu’ils disposent d’un espace de manœuvre de moins en moins grand dans le choix des sujets, des sources et des angles de traitement. Ce que j’observe, c’est le développement d’un journalisme à deux vitesses. Le journalisme d’enquête n’est pas disparu des salles de nouvelles, bien sûr, mais il existe à ses côtés un journalisme qui utilise du matériel clés en main fourni par les relationnistes, et ce, pour toutes les plateformes.»

Les prochaines étapes de la recherche, qui s’échelonnera sur trois ans, seront consacrées aux relations entre les deux professions dans le monde de la radio, de la télévision et d’Internet ainsi qu’en période électorale. «La recherche en est encore à ses débuts, dit l’ancienne journaliste. Les résultats que nous avons obtenus jusqu’à maintenant nous incitent à continuer d’investiguer.»