Voir plus
Voir moins

Éloge de la gastronomie

La professeure Julia Csergo se passionne pour l’histoire de l’alimentation depuis plus de 20 ans.

Par Valérie Martin

10 mars 2014 à 16 h 03

Mis à jour le 17 septembre 2014 à 19 h 09

Photo


La professeure Julia Csergo, du Département d’études urbaines et touristiques, souhaite mieux comprendre comment nous mangeons. La reconnaissance du repas gastronomique français comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité par l’UNESCO, en 2010, compte parmi ses grandes réalisations. Elle avait été nommée responsable scientifique du dossier de candidature auprès de l’organisme international par le ministère français de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. «Le repas gastronomique français, qui célèbre l’art du bien manger et du bien boire, est un repas festif, d’au moins quatre services, que l’on réserve pour les grandes occasions, décrit la chercheuse. Chaque plat et boisson ont leur importance selon un ordre établi.»

Photo

Julia Csergo. Photo: Émilie Tournevache

Un modèle de repas qui se compose d’un ensemble complexe de rituels de consommation et de règles strictes à observer. «Ce modèle peut paraître banal aujourd’hui pour les Français, mais il a fallu faire une véritable recherche scientifique sur le sujet pour le définir et en décrire les éléments», rapporte cette spécialiste des questions de culture et de patrimoine alimentaires.

Ce modèle de repas, qui est d’abord apparu au 17e siècle sur les tables des élites françaises avant de gagner les cuisines du pays, a depuis été repris et diffusé un peu partout dans le monde… jusqu’à la Maison-Blanche! «Encore aujourd’hui, les cantines scolaires et universitaires françaises proposent des repas déclinés en formule ”soupe-crudités-plat principal-fromage-dessert”. Les Français y restent très attachés», remarque Julia Csergo.

Arrivée au Québec en 2012, la professeure a pris la direction du programme de Certificat en gestion et pratiques socioculturelles de la gastronomie. «Il reste encore beaucoup de recherches à effectuer sur le patrimoine culinaire québécois», affirme celle qui s’intéresse à l’histoire de l’alimentation depuis plus de 20 ans.

Julia Csergo croit que l’alimentation joue un rôle important dans la compréhension des sociétés humaines et des rapports entre les humains. «L’histoire de l’alimentation comporte plusieurs volets comme la culture alimentaire familiale et régionale, l’histoire des productions, les patrimoines et l’histoire des plats. C’est un véritable objet de recherche pluridisciplinaire, qui fait appel entre autres aux sciences humaines comme l’histoire et l’ethnologie, explique la professeure. Lorsque j’ai commencé mes études, l’histoire de l’alimentation n’était pas considérée comme légitime dans le monde universitaire. On trouvait cela plutôt anecdotique. Heureusement, cela a changé!»

Julia Csergo souhaite réaliser une vaste enquête populaire sur le patrimoine culinaire québécois. «Comment les Québécois pensent-ils, reconnaissent-ils et identifient-ils leur patrimoine culinaire?», s’interroge-t-elle. Selon la chercheuse, ce qui relève du patrimoine aux yeux d’une population n’est pas forcément reconnu institutionnellement, et vice versa. «Si l’on prend l’exemple du patrimoine bâti, la population reconnaît le patrimoine classé et institutionnalisé, mais elle n’y est pas nécessairement liée sur le plan affectif. À l’inverse, les gens peuvent ressentir un attachement pour des bâtiments qui ne sont pas reconnus par les institutions. Il en va de même pour le patrimoine culinaire. Les Québécois ne s’identifient peut-être pas au pâté chinois et à la tourtière, comme on pourrait le croire. C’est ce que j’ai envie de savoir», dit-elle.

Gastronomie française

Dans ses recherches sur le patrimoine alimentaire français, Julia Csergo s’est notamment intéressée aux savoir-faire liés à l’agriculture et à la transformation des matières premières ainsi qu’aux produits du terroir. «La France a pratiquement inventé le mot terroir, qui signifie territoire en vieux français, dit la chercheuse. C’est un chimiste du 18e siècle qui a démontré dans ses travaux que le goût de la terre se retrouvait dans les produits du sol. Un territoire spécifique de par sa composition microbiologique unique contribue, par exemple, au goût bien particulier d’un fromage ou d’un vin.» Dès le début du 20e siècle, les Français ont également développé des infrastructures comme l’Institut national des appellations d’origine afin de protéger, de définir et de contrôler les produits du terroir. «Des produits du terroir et de transformation, comme les confiseries, les fromages et les viennoiseries, sont fabriqués à partir de matière première de qualité par des artisans qui ont appris l’art de les faire. Ce savoir-faire est bien souvent transmis depuis des générations. Ces produits et ces savoir-faire racontent une histoire. C’est ce qui leur donne un sens», note la professeure.

L’artification culinaire

Julia Csergo s’intéresse également à l’art culinaire comme pratique culturelle. «L’idée, c’est de mieux définir la pratique de la cuisine et qu’elle soit prise au sérieux en tant qu’acte culturel, patrimonial, et créatif», affirme-t-elle. En collaboration avec l’Institut national d’histoire de l’art de France, la professeure a organisé deux journées d’études internationales sur la question en novembre dernier. L’événement, qui a réuni des chercheurs et des chefs, avait pour objectifs d’élargir la compréhension de l’acte culinaire en l’inscrivant au sein de l’histoire des arts et des pratiques culturelles, et d’ouvrir un champ de recherche innovant, interdisciplinaire et interprofessionnel.

Selon la chercheuse, les chefs cuisiniers devraient être considérés comme des artistes au même titre que les musiciens ou les peintres. «Les cuisiniers créent des plats et transforment ainsi la matière, tout comme le font les artistes, poursuit-elle. Pourtant, on perçoit les cuisiniers comme des domestiques. Il faut redonner ses lettres de noblesse à la cuisine et aux cuisiniers. Il faut prendre conscience de tout le travail qui est derrière un chocolat ou une pâtisserie. Une création qui est destinée à donner du plaisir et de l’émotion.»