L’intégration dans les universités des disciplines artistiques – arts visuels, musique, danse, théâtre – a favorisé l’émergence d’un type particulier de recherche: la recherche-création. Les organismes subventionnaires ont d’ailleurs créé des fonds spécifiques à l’intention des professeurs dont la pratique artistique constitue la principale contribution à l’avancement des connaissances et ces derniers ont dû définir leur démarche de création. Mais en quoi consiste exactement la recherche-création?
Une trentaine de chercheurs et artistes du Québec, du Canada anglais et d’Europe débattront de cette question lors du colloque La recherche-création: territoire d’innovation méthodologique, qui se déroulera au Cœur des sciences de l’UQAM, du 19 au 21 mars prochains. «L’objectif du colloque est de dresser un état des lieux afin de mieux cerner ce qui fait la spécificité de la recherche-création», observe Louise Poissant, doyenne de la Faculté des arts et principale organisatrice de l’événement.

Le couple recherche-création ne va pas de soi. S’agit-il d’une nouvelle forme de recherche, d’une nouvelle forme de création, ou de la juxtaposition de deux univers déjà existants? «Son territoire demande à être délimité au moment où la recherche se décline sous des modes de plus en plus diversifiés: recherche-développement, recherche-innovation, recherche-intervention», dit Louise Poissant. Selon elle, la recherche-création se distingue par le fait qu’elle ne vise pas la reproductibilité d’une expérience, comme c’est souvent le cas en sciences. «Au contraire, souligne la doyenne, la recherche-création est soumise à l’impératif de produire chaque fois une expérience différente.»
Un processus mystérieux ?
La recherche-création s’intéresse notamment au processus de création. Pour plusieurs personnes, celui-ci est toujours un peu mystérieux. Comment, en effet, passe-t-on du vide à la forme? Comment l’idée créatrice surgit-elle dans l’esprit de l’artiste pour ensuite s’incarner dans un objet, qu’il s’agisse d’une peinture, d’une sculpture ou d’une installation? «Une vision romantique considère que l’artiste reçoit une inspiration ou une intuition, souvent inexplicable, qui doit garder une part de mystère, note Louise Poissant. On n’arrivera peut-être jamais à décrire parfaitement le processus créatif en raison de sa complexité. En même temps, la démarche créatrice en arts comporte une dimension recherche qui peut être questionnée. On peut chercher à comprendre les forces et les mécanismes qui contribuent à l’alimenter. Qu’elle porte sur des matériaux, des techniques et des savoir-faire, ou sur des thèmes et des idées cristallisés dans une œuvre, la recherche-création impose des contraintes et des procédures.»
Aujourd’hui, plusieurs recherches s’intéressent à la façon dont procèdent les artistes, sur un mode individuel ou collectif, pour créer une œuvre. «En études littéraires, par exemple, des travaux portent sur des manuscrits, des ébauches et des correspondances d’écrivains afin de mieux saisir l’œuvre en gestation, la pensée au travail», souligne la doyenne. En théâtre ou en danse, on étudie les étapes menant à la création d’un spectacle achevé. Les cahiers de régie, les notes de scène, les répétitions, les directives concernant les décors ou la gestuelle aident à comprendre la nature du travail d’un metteur en scène ou d’un chorégraphe.
Des approches multiples
Les participants au colloque se pencheront sur les nombreuses approches méthodologiques de la recherche-création. «Pour l’approche dite de l’autopoïese, théorisée et revendiquée par plusieurs artistes, une œuvre se définit et se précise dans le faire, un peu comme une plante qui grandit en fonction de son environnement et qui en retour le transforme. D’autres s’intéressent à l’instrumentation, à la façon dont les matériaux, les outils ou les média utilisés – par exemple, tel type d’appareil photographique ou de caméra – affectent la pratique artistique ou influencent l’esthétique d’une œuvre. D’autres encore intègrent volontairement des éléments hasardeux dans leurs méthodes de création afin d’obtenir des résultats inusités, sinon inespérés», explique Louise Poissant.
Le rapport entre cognition et création artistique est un autre thème à l’ordre du jour. À la création «naturelle» s’ajoute ou se conjugue une création artificielle spécifiquement «machinique». Ainsi, les ordinateurs seraient devenus capables de simuler des processus de création propres à l’homme, à partir de modèles issus des sciences cognitives, notamment de la neurobiologie.
Le colloque abordera également la notion de demo, similaire à celle de maquette en architecture, de synopsis ou de storybook au cinéma ou d’étude en musique, qui abrite déjà une partie importante du processus de création et dont le rôle méthodologique consiste à visualiser des hypothèses de travail.
«La recherche-création traverse l’ensemble des disciplines artistiques mais revêt des formes particulières qui varient selon chacune d’elles, souligne la doyenne. C’est pourquoi la Faculté des arts organisera deux autres colloques l’an prochain pour approfondir la compréhension des méthodes de recherche-création dans des domaines spécifiques. Le premier, organisé en collaboration avec l’Institut Hexagram, concernera les arts médiatiques et le second, les arts de la scène.»