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Voter pour le moins pire?

Les candidats à la présidence du Brésil suscitent peu d’enthousiasme.

Par Jean-François Ducharme

3 octobre 2014 à 0 h 10

Mis à jour le 4 septembre 2015 à 15 h 09

«Au Brésil, l’écart entre les riches et les pauvres ne cesse de se creuser», affirme Anne Latendresse, professeure au Département de géographie et directrice du Centre d’études et de recherches sur le Brésil (CERB) 

Plus de 140 millions d’électeurs brésiliens seront appelés aux urnes le 5 octobre prochain afin d’élire leur président, des gouverneurs, des députés et des sénateurs. Si aucun candidat à l’élection présidentielle n’obtient 50 % des suffrages, un second tour, prévu le 26 octobre, opposera les deux candidats ayant récolté le plus de voix.

Parmi les 12 prétendants à la présidence, trois retiennent l’attention. La présidente sortante et candidate du Parti des travailleurs, Dilma Rousseff, est la favorite du 1er tour, les derniers sondages lui attribuant 40 % des voix. Marina Silva, candidate du Parti socialiste brésilien, obtiendrait la 2e place avec 27 % des intentions de vote, alors qu’Aécio Neves, candidat du Parti de la social-démocratie brésilienne, récolterait 18 % des appuis. De 20 % à 30 % des Brésiliens seraient toujours indécis.

NDLR: Lors du 1er tour, Dilma Rousseff a terminé au 1er rang avec 41,6 % des voix, alors qu’Aécio Neves a pris le 2e rang avec 33,5 % des voix. Les deux candidats s’affronteront lors du 2e tour le 26 octobre prochain.

Pauvreté et disparités

Anne Latendresse Photo: Nathalie St-Pierre

Ces élections se déroulent dans un contexte socioéconomique difficile. «Même si 20 millions de Brésiliens sont sortis de la pauvreté au cours des dernières années, plus de 15 % de la population connaît encore des conditions de vie extrêmement difficiles. L’élan économique des années 2000 n’existe plus aujourd’hui et l’écart entre les riches et les pauvres ne cesse de se creuser», affirme Anne Latendresse, professeure au Département de géographie et directrice du Centre d’études et de recherches sur le Brésil (CERB).

Après avoir accueilli la Coupe du monde de soccer en 2014, le Brésil sera l’hôte des Jeux olympiques d’été en 2016. Cette stratégie consistant à miser sur deux méga-événements sportifs profite davantage aux élites économiques qu’à la population, croit la chercheuse. «En marge de la Coupe du monde, des bidonvilles ont été éradiqués et des populations ont été déplacées, affirme-t-elle. Quarante-cinq milliards de dollars de fonds publics ont été investis et le gouvernement n’a toujours pas publié de bilan sur les retombées de cet événement.»

Dilma Rousseff: bilan contrasté

Au pouvoir depuis 2003, le Parti des travailleurs (PT) a été dirigé par Lula durant huit ans, puis par Dilma Rousseff depuis 2011. «Après trois mandats, le PT commence à ressentir l’usure du pouvoir», souligne Anne Latendresse.

Les principales critiques faites à la présidente sortante portent sur son bilan économique. «Dilma Rousseff n’a pas de vision économique. Elle peut préconiser des mesures de croissance durant six mois, puis appliquer des mesures d’austérité au cours des mois suivants», observe Pierre Salama, professeur émérite à l’Université Paris 13, qui était invité à donner une conférence à l’UQAM le 29 septembre dernier par le CERB, en collaboration avec le Centre interdisciplinaire de recherche en développement international et société, le Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation, l’Institut d’études internationales de Montréal et l’Université d’Ottawa.

Des allégations de corruption concernant la société pétrolière d’État Petrobras et la Banque nationale d’investissement brésilienne ont éclaboussé le gouvernement ces deux dernières années. De plus, d’importantes manifestations de masse ont éclaté en 2013, principalement pour dénoncer la hausse des tarifs des transports en commun, les dépenses reliées à la Coupe du monde et les déficiences en matière d’infrastructures.

Malgré la grogne populaire, le bilan de Dilma Rousseff à la présidence n’est pas si sombre, affirme Anne Latendresse. «Elle a beaucoup contribué à améliorer l’éducation en créant un réseau de collèges techniques et professionnels, en augmentant le nombre d’universités dans les régions pauvres et en instaurant le programme de bourses Sciences sans frontières, qui a permis d’envoyer 100 000 doctorants brésiliens dans des universités étrangères. Elle a aussi fait passer une loi pour protéger les travailleuses domestiques et a fait augmenter le salaire minimum», rappelle la professeure.

Marina Silva: progressiste ou conservatrice

Angelo Soares Photo: Émilie Tournevache

Principale rivale de Dilma Rousseff, la candidate du Parti socialiste brésilien (PSB), Marina Silva, constitue la plus grande surprise de ces élections. Ancienne ministre de l’Environnement sous Lula, de 2003 à 2008, puis candidate du Parti vert lors des élections présidentielles de 2010, elle s’est lancée dans la course après le décès en août dernier d’Eduardo Campos, candidat du PSB, dont elle était la colistière. Ses promesses de faire une «nouvelle politique» ont immédiatement fait grimper le PSB dans les intentions de vote.

À première vue, cette écologiste d’origine modeste, surnommée l’«Obama brésilienne», apparaît comme l’incarnation du progrès et du changement. Mais ses convictions religieuses et ses liens avec le mouvement évangélique suscitent des craintes, note Angelo Soares, professeur au Département d’organisation et ressources humaines et chercheur au CERB. «Elle justifie son opposition au mariage gai et à l’avortement en citant des passages de la Bible. Avec elle, il n’y a pas de séparation entre État et religion», dit le professeur.

On reproche aussi à Marina Silva ses contradictions politiques. «Malgré son passé à gauche, elle est entourée d’une équipe très néolibérale», remarque Angelo Soares.

Le Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB), troisième option des Brésiliens, est lui aussi aux prises avec des allégations de corruption. Entre 1995 et 2003, des ministres de ce parti au pouvoir dans l’État de Sao Paulo auraient accepté des pots-de-vin du groupe industriel Alstom pour des contrats liés au métro de Sao Paulo.

«Face à ces trois candidats, les Brésiliens ne voteront pas pour le meilleur, mais pour le moins pire d’entre eux», croient Pierre Salama et Angelo Soares.