Le projet PLURIELLES, une initiative de la Chaire de recherche du Canada en éducation à la santé, aide les femmes vivant avec le VIH/Sida à reprendre leur vie sexuelle et affective en main. «C’est un programme d’intervention, s’inscrivant dans une vision holistique de la sexualité, qui permet aux femmes de se réapproprier leurs droits au-delà du VIH, explique Joanne Otis, titulaire de la Chaire. La seule façon de se définir pour ces femmes est bien souvent leur séropositivité. Le projet a pour but de leur faire voir les choses autrement, d’améliorer leur qualité de vie et de leur redonner du pouvoir (empowerment).»
Le projet consiste en une série de 10 rencontres sur des thèmes comme le vieillissement et la ménopause, l’estime de soi et l’image corporelle, la stigmatisation et le dévoilement du statut séropositif au VIH, le désir d’enfant et la santé reproductive ainsi que la relation de couple et la séduction. La professeure et son équipe de la Chaire s’intéressent au cas des femmes aux prises avec la maladie depuis 2002. Une recherche effectuée en milieux hospitalier et communautaire avait révélé que celles-ci manquaient de services d’accompagnement «et d’un lieu de parole pour échanger, briser l’isolement, partager leurs expériences et tisser des liens avec d’autres femmes vivant la même situation», dit Joanne Otis.
Pour combler ce manque, la professeure et son équipe ont mené une première recherche-action, en collaboration avec un comité externe formé d’intervenantes d’organismes communautaires œuvrant auprès de femmes atteintes du VIH, de paires-aidantes et de femmes vivant elles-mêmes avec le VIH/sida. Les rencontres ont permis de mettre sur pied Pouvoir partager/ Pouvoirs partagés (PP/ PP), une première série d’interventions ayant pour but d’informer les participantes sur la question du dévoilement et du non-dévoilement du statut séropositif au VIH et de les aider à obtenir du soutien dans leurs démarches.
«La question du dévoilement était un enjeu crucial pour les participantes de la recherche, se rappelle Joanne Otis. Toute femme vivant avec le VIH sera confrontée un jour ou l’autre à cette question. Est-ce que l’on doit dire à son conjoint, à ses enfants, à son médecin ou à son employeur que l’on souffre du sida? Jusqu’où peut-on aller? Est-il obligatoire de le dire à tout le monde? Pour ces femmes, la maladie est un poison, un fardeau qu’elles portent dans toutes les sphères de leur vie: professionnelle, familiale, médicale, sexuelle, amoureuse.»
Les lieux d’échanges sont également une occasion pour ces femmes de se sentir plus outillées face à leur décision et plus en mesure de planifier et de mettre en œuvre des stratégies visant à dévoiler ou non leur statut en fonction des situations. «Le programme ne fait pas la promotion du dévoilement, précise Lyne Massie, agente de recherche à la Chaire de recherche du Canada en éducation à la santé et coresponsable du projet. Les femmes sont informées sur les différentes situations (relations sexuelles, police d’assurances…) dans lesquelles le dévoilement est obligatoire, mais la décision de dévoiler ou pas leur statut leur appartient. Le programme vise à doter les femmes de stratégies afin qu’elles puissent assumer par la suite les conséquences de leurs choix. Elles ont ainsi un plus grand contrôle sur leur vie et peuvent se sentir moins accablées par le poids du secret.»
Du Québec au Mali…
Le programme Pouvoir partager/ Pouvoirs partagés a été adapté pour les besoins des Maliennes atteintes du VIH. Rebaptisé Gundo So (La chambre des secrets), le programme a été implanté en 2011 à Bamako au Mali, en collaboration avec les organismes ARCAD SIDA (Mali) et COCQ-SIDA (Montréal) et la Coalition PLUS (France). «Les Maliennes vivant avec le VIH sont beaucoup plus stigmatisées que les Québécoises, remarque Joanne Otis. Autant la question du dévoilement est universelle, autant celle de la sexualité et de la reproduction est vécue différemment selon les pays. Les Maliennes sont pour la plupart excisées et vivent au sein de familles polygames. Leurs rôles sociaux sont également différents: elles sont d’abord des mères et des épouses.»
Dans le cadre de ce partenariat avec ARCAD SIDA, un autre programme sur la santé affective et sexuelle a été dévelopé avec et pour les femmes du Mali. C’est ce programme, une fois adapté pour le Québec, qui a pris le nom de PLURIELLES. Les programmes d’intervention PLURIELLES (qui reprend le thème du dévoilement dans le cadre de ses groupes d’échanges) et Pouvoir partager/ Pouvoirs partagés ont donc ceci de particulier qu’ils ont été conçus par et pour des femmes vivant avec le VIH. «Ce sont elles qui sont les mieux placées pour savoir ce dont elles ont besoin. C’est la notion même de l’empowerment, qui repose sur l’idée générale que les personnes ont le droit de prendre part aux décisions qui les concernent et qu’elles ont toutes les capacités requises pour trouver des solutions à leurs problèmes», explique Joanne Otis. Dans plusieurs cas, les groupes d’échanges sont d’ailleurs animés par des paires-aidantes atteintes du VIH. «Les participantes se sentent mieux comprises et plus à même de dévoiler des détails de leur vie intime», souligne Lyne Massie.
Un programme offert dans l’ensemble du Québec
En collaboration avec l’organisme COCQ-SIDA, une formation visant à faire connaître le programme PLURIELLES a été offerte aux intervenants des organismes communautaires québécois de lutte contre le sida en janvier dernier. «L’objectif était d’offrir une seule formation pour que toutes les intervenantes et les paires-aidantes puissent reprendre le contenu du programme et animer de manière indépendante des groupes d’échanges partout au Québec, précise Lyne Massie. Après avoir été développé et validé à Montréal au cours du printemps 2013, le programme est maintenant en phase d’implantation à l’échelle de la province.» Une trousse comprenant un guide de formation et d’animation et du matériel pédagogique a été remise aux organismes participants.
Quant au projet Pouvoir partager/ Pouvoirs partagés, un site Web, où l’on retrouve un guide de formation en version téléchargeable, a été développé. Ce guide sera éventuellement traduit en anglais afin de rejoindre les femmes partout au Canada. Un ouvrage collectif a également été publié. Il est possible de se le procurer sur le site web du projet à l’adresse suivante: www.pouvoirpartager.uqam.ca. En 2016, les femmes ayant participé au programme depuis les tout débuts seront appelées à partager leurs savoirs et leurs expériences dans le cadre de colloques scientifiques et d’un forum-témoignage.