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Sous la carapace de l’autisme

Les recherches de la neuropsychologue Isabelle Soulières montrent que les enfants autistes sont souvent intellectuellement sous-estimés

Par Benjamin Tanguay

2 avril 2013 à 0 h 04

Mis à jour le 17 septembre 2014 à 19 h 09

Quand on pense à l’autisme, on pense au  personnage incarné par Dustin Hoffman dans le film Rainman, à des personnes dont la connaissance d’un domaine précis – mathématiques, musique ou même les statistiques au baseball – dépasse l’entendement. Bref, dans l’imaginaire collectif, les autistes ont souvent des capacités surestimées et surhumaines. En enseignement, la tendance est inverse. Les cas lourds – 30 % des enfants autistes, parfois incapables de communiquer de quelque manière que ce soit – sont même considérés comme des déficients intellectuels.


Pour Isabelle Soulières, professeure au Département de psychologie, les enfants sévèrement atteints d’autisme sont intellectuellement sous-estimés. «En apparence, ces enfants ont un niveau très faible, explique la neuropsychologue, mais il ne faut pas abandonner l’idée de leur faire faire des apprentissages académiques.» C’est la conclusion d’une étude qu’elle a menée auprès d’une trentaine d’élèves de 6 à 12 ans provenant de deux écoles spécialisées dans l’enseignement aux autistes ayant d’importantes difficultés d’adaptation. Les élèves sélectionnés étaient tous considérés par les tests traditionnels de QI comme étant déficients intellectuels et ne parlaient pas ou très peu. «Souvent on se fait reprocher de choisir des autistes parmi les plus doués pour montrer qu’on peut leur faire faire des tâches complexes, souligne-t-elle. Là on a fait le contraire.»


Évaluer l’intelligence


Avec les enfants autistes, évaluer l’intelligence n’est pas un objectif simple à réaliser. Puisque plusieurs autistes de bas niveau ne communiquent pas verbalement, une majorité de tests ont dû être écartés. Le test retenu, celui des matrices progressives de Raven, a été élaboré spécialement pour des personnes issues de cultures différentes. Ce test consiste à trouver parmi les choix de réponses celle qui complète la suite de formes géométriques présentée. Le tout est entièrement logique et ne requiert aucune instruction.


Problème résolu? Loin de là. Plusieurs enfants autistes, pour des raisons qu’on ignore, ne sont pas en mesure de pointer un choix de réponse. Isabelle Soulières a donc dû modifier ce test pour en faire une sorte de casse-tête où l’on doit placer un morceau dans un trou. «Encore là, on avait des problèmes parce que les enfants étaient surentraînés à utiliser toutes les pièces, donc tous nos choix de réponses, pour compléter le casse-tête, se souvient la professeure en riant. On a dû leur montrer qu’ils ne pouvaient utiliser qu’une seule pièce.» La neuropsychologue a aussi soumis les enfants à des tests de perception, un domaine où les autistes performent typiquement mieux que la population normale.


Dans le groupe étudié, le test des matrices progressives de Raven a révélé que 65 % des autistes généralement considérés comme déficients intellectuels ont des capacités de résolution de problèmes comparables à celles d’élèves de classes régulières. Les notes aux tests de perception renforcent ce résultat : les élèves doués pour repérer des formes géométriques ou des lettres réussissaient mieux au test d’intelligence classique de Raven. «Cela veut dire que les autistes “de bas niveau” ont souvent des capacités intellectuelles dans la normale sans être en mesure de les appliquer dans leur vie quotidienne», commente Isabelle Soulières.


La neuropsychologue, qui rédige un article scientifique à partir de ses résultats, est aidée par Michelle Dawson, une chercheuse autiste autodidacte qui possède une connaissance encyclopédique du domaine. Isabelle Soulières lui soumet ses analyses afin qu’elle y pointe les failles et erreurs de raisonnement, un processus que la professeure qualifie en riant «d’épreuve d’humilité».


Styles cognitifs


Au point de vue neurologique, l’explication traditionnelle veut que l’autisme soit causé par une sous-connectivité entre les lobes pariétaux, qui sont mis à contribution quand on tente de se représenter abstraitement une information, et le lobe frontal, qui permet de tester des hypothèses. Le corolaire de cette théorie implique que plus une tâche est complexe et demande une communication entre ces deux parties du cerveau, plus les autistes sont désavantagés. Ce n’est toutefois pas ce qu’Isabelle Soulière constate dans ses recherches. «À QI égal, une personne autiste est 42 % plus rapide au test des matrices progressives de Raven qu’une personne typique», observe-t-elle.


Sans savoir exactement ce qui se passe dans le cerveau de personnes comme Michelle Dawson, la professeure se borne à souligner qu’elles ont des points forts, comme le raisonnement logique, différents du reste de la population, probablement en raison d’une manière de traiter l’information qui leur est unique. C’est d’ailleurs en tenant compte de ces styles cognitifs particuliers qu’elle espère trouver une méthode d’enseignement adaptée aux autistes permettant de voir au-delà de leur carapace.