Le 18 décembre est la Journée internationale des migrants, qui compte depuis peu une nouvelle catégorie: les migrants climatiques. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), l’impact le plus marqué des bouleversements climatiques (périodes de pluie ou de sécheresse prolongée, hausse du niveau de la mer, multiplication des événements extrêmes, érosion des berges, déforestation, etc.) qui sont attendus au cours des prochaines années se fera sentir au niveau des migrations humaines. Le GIEC avance le chiffre de 200 millions de personnes qui pourraient être déplacées d’ici 2050, soit près d’une personne sur 45 dans le monde.
«On constate que de plus en plus de déplacements, suivant une inondation, par exemple, ont tendance à être irréversibles», remarque le professeur Laurent Lepage, de l’Institut des sciences de l’environnement. «Sans parler de catastrophe, il devient difficile de reprendre les mêmes façons de vivre. Les bouleversements sont trop grands.»
Les caprices de la météo ne peuvent toutefois expliquer à eux seuls de tels déplacements de population, nuance le professeur. Ce sont plutôt les interactions entre les bouleversements du climat et différents phénomènes sociaux et politiques qui amènent les populations à migrer. En Afrique sub-saharienne, par exemple, la production agricole sera en diminution de 10 à 15% au cours des prochaines années alors que la population ne cessera de croître. «Un tel contexte environnemental rendra de plus en plus difficile la subsistance. L’agriculture ne pourra fournir assez d’aliments pour nourrir tout le monde», explique Laurent Lepage.
En combinant à ces facteurs des tensions entre musulmans et chrétiens ou entre différents groupes ethniques et des affrontements pour les ressources naturelles, comme on en voit au Mali, «toutes les conditions sont réunies pour favoriser ou précipiter les déplacements de population», précise le professeur. Pour tenter de survivre, plusieurs Africains des quatre coins du continent décident d’affluer dans les grandes villes, venant du coup aggraver la surpopulation des quartiers pauvres. «Les villes ont également des capacités limitées», observe le professeur. Afin de rejoindre l’Europe entre autres, d’autres migrants n’hésitent pas à braver la mer dans des conditions terribles: embarcations non sécuritaires, passeurs sans scrupules, etc. «Les pays limitrophes aux prises avec ce flux migratoire ne savent pas non plus comment composer avec un tel phénomène», constate Laurent Lepage.
Le professeur et son équipe de chercheurs ont effectué durant quatre ans de nombreuses recherches en collaboration avec l’Agence canadienne pour le développement international (ACDI) et Environnement Canada dans la région du Sahel (Burkina Faso, Mali et Niger). L’objectif était d’aider les populations locales à trouver des solutions pour contrer les bouleversements du climat. «Dans tous les pays du monde, il faut miser sur des stratégies d’adaptation et des politiques publiques ayant pour but de réduire la vulnérabilité des populations», dit le professeur.
Le Bangladesh, aux prises récemment avec des inondations importantes, en partie imputables à la fonte des glaciers dans l’Himalaya, est l’un des premiers pays vulnérables à se doter de politiques de lutte contre les changements climatiques. «On raconte que des éleveurs de poulets d’une communauté bangladaise victime d’inondations à deux reprises se sont tournés vers l’élevage de canards, mieux adaptés à l’eau!», dit Laurent Lepage, amusé. «C’est une solution simple qui illustre bien le type d’adaptation que devront trouver les communautés affectées par des transformations de leur milieu de vie. Tous les éléments qui ont assuré leur survie jusqu’à maintenant ─ savoir-faire traditionnels, systèmes d’organisation sociale, etc. ─ doivent être pris en compte. Il faut trouver des solutions pour s’adapter aux changements en lien avec ce que les communautés savent faire, et ce, dans le but de réduire leur vulnérabilité au climat.»
Vous avez dit réfugié climatique?
Le cas d’Ioane Teitiota, un homme des îles de Kiribati (Pacifique) qui a demandé le statut de réfugié climatique en raison de la montée inattendue du niveau de la mer illustre la nouvelle réalité à laquelle les autorités seront bientôt confrontées. En novembre dernier, l’homme et sa famille ont vu leur demande de statut refusée par la Nouvelle-Zélande. «Il n’existe aucune définition sur laquelle la communauté internationale s’entend pour définir ce qu’est un réfugié climatique», note Laurent Lepage.
Selon la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, le terme «réfugié» désigne une personne qui a dû quitter son pays parce qu’elle est victime de persécution; l’environnement n’est d’aucune manière considéré dans le document comme une sorte de persécution. «La plupart des gens qui choisissent de se déplacer pour des motifs relatifs au climat le font d’abord à l’intérieur des frontières de leur propre pays et, en ce sens, ils ne constituent pas des réfugiés à proprement parler», ajoute Laurent Lepage. Au sens juridique, le terme migrant ne s’applique quant à lui qu’aux travailleurs. Comme ils n’appartiennent à aucune catégorie, les migrants climatiques ne sont pas protégés par des accords internationaux. À l’échelle régionale toutefois, notamment en Afrique et en Amérique latine, des tentatives sont menées afin d’inclure une définition de ce type particulier de migrants. «C’est un phénomène complexe et multiforme. L’Organisation internationale pour les migrations réfléchit à la question, car le phénomène prend de l’ampleur», conclut Laurent Lepage.