Le Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) prolonge, jusqu’au 2 septembre 2013, l’exposition Les arts en Nouvelle-France qui, pour la première fois, propose une synthèse des arts dans la colonie à l’époque du Régime français. L’exposition rassemble plus de 160 œuvres d’origine française et locale – peintures, sculptures, estampes, dessins, orfèvrerie, mobilier, textile et art décoratif –, provenant de communautés religieuses, d’archives, de musées et de collectionneurs.
«Ces œuvres sont à l’origine de l’art canadien. Elles témoignent de la richesse et de la vitalité de la production artistique entre 1608 et 1759», souligne Laurier Lacroix, professeur associé au Département d’histoire de l’art et co-commissaire de l’exposition, pour laquelle il a obtenu récemment une mention honorable dans le cadre de la remise du Prix d’histoire du Gouverneur général du Canada pour l’excellence des programmes en musée.
L’exposition et l’ouvrage éponyme qui l’accompagne constituent l’aboutissement d’une vaste recherche dirigée depuis quatre ans par Laurier Lacroix. «C’est par défi et pour combler une lacune que j’ai entrepris ce projet avec l’aide d’une petite équipe d’étudiantes passionnées», explique l’historien, soulignant que les travaux les plus récents sur le Régime français remontaient à 1975. «Des étudiants de maîtrise et de doctorat venaient me voir en me signifiant leur intérêt pour cette époque. Malgré toutes les connaissances produites jusqu’à maintenant sur la société française en Amérique, il manquait une étude générale sur la place et le rôle des beaux-arts et des arts décoratifs.»
Un art fonctionnel
Les thèmes de l’exposition correspondent aux fonctions de l’art à cette époque: représenter, décorer et prier. Le premier volet invite à découvrir les habitants et leur environnement. Le deuxième rassemble des objets témoins du cadre de vie domestique (mobilier, faïence, verre) et le troisième se concentre sur les objets de culte et de dévotion, évocateurs de l’engagement missionnaire.
La plupart des œuvres ayant été détruites ou perdues au fil du temps, le projet exigeait de retourner aux archives des XVIIe et XVIIIe siècles pour documenter ce qui existait à l’époque. Il a aussi fallu rassembler des œuvres éparpillées dans des musées, des églises et des communautés.
Les œuvres arrivent d’abord dans la colonie par l’entremise des missionnaires, puis proviennent de dons de dévots ou de communautés religieuses françaises qui s’implantent en Nouvelle-France, ainsi que de laïcs venus s’établir avec leurs biens. «Les gens ne pouvaient pas vivre sans ces références visuelles – une gravure, un tableau, une sculpture – qui leur disaient qui étaient leurs parents, qui était leur roi et quel Dieu ils adoraient», note Laurier Lacroix.
À cela s’ajoute peu à peu la production de pièces réalisées sur place par des sculpteurs, des menuisiers, des orfèvres et des peintres qui répondent à des commandes essentiellement religieuses. «À partir de la fin du XVIIe siècle, les référents des gens nés en Nouvelle-France deviennent de plus en plus locaux, donnant ainsi naissance à une nouvelle culture visuelle», souligne le chercheur
Cette nouvelle culture, dont le développement s’étale sur plusieurs générations, se caractérise d’abord par sa capacité d’adaptation à un environnement marqué par le manque d’outils, de matériaux et de mécènes, observe Laurier Lacroix. «En 1700, l’artiste Pierre Le Ber fait le portrait de Marguerite Bourgeoys avec seulement trois couleurs : le blanc, le noir et l’ocre. Il parvient tout de même à brosser une œuvre simple, mais d’une grande sensibilité, qui continue de nous émouvoir 300 ans plus tard.»
Une découverte significative
Le professeur reconnaît que sa rencontre avec l’art des autochtones, dont il ne subsiste que de trop rares exemples, constitue sa découverte la plus significative. «Leurs créations ont non seulement servi d’interface avec la culture européenne, elles ont aussi contribué à façonner l’imaginaire de ce pays», dit-il.
Lauréat en 2008 du prix Gérard-Morisset, la plus haute distinction accordée par le gouvernement du Québec pour l’ensemble d’une carrière consacrée au patrimoine, Laurier Lacroix caresse un autre projet ambitieux : produire, avec son collègue Dominique Hardy, une vaste synthèse de l’histoire de l’art au Québec, depuis l’époque de la Nouvelle-France jusqu’à aujourd’hui, incluant l’architecture et les arts décoratifs. «Il faut poursuivre le travail de recherche dans une direction pluridisciplinaire. Auparavant, les spécialistes en architecture, en peinture, en sculpture et en mobilier se parlaient peu. Maintenant, leurs travaux commencent à se croiser, favorisant une compréhension plus intégrée de la culture artistique et matérielle d’une société.»