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Euthanasie : le soin ultime?

Nous souhaitons tous mourir dans la dignité. Reste à savoir quand et comment.

Par Claude Gauvreau

15 avril 2013 à 0 h 04

Mis à jour le 28 août 2018 à 11 h 08

«Souffrir ressemble beaucoup à grelotter. C’est une contraction de tout le corps, de la racine des cheveux jusqu’aux pieds. Ça fait MAL!!! Et ça fait mal constamment. Ce grelottement absorbe toutes vos forces. Pensez-y : supporteriez-vous de grelotter 10 jours, 20 jours, deux mois, des années?»

Claire Morissette, fondatrice de Cyclo Nord-Sud, un organisme qui recueille des vélos usagés pour les envoyer dans les pays du Sud, a écrit ces mots troublants en juin 2007, quelques semaines avant de mourir d’un cancer. Sachant que la mort approchait, elle voulait contribuer à la réflexion sur le grave enjeu de l’euthanasie. Son témoignage est paru dans Frontières, la revue québécoise en études sur la mort publiée par l’UQAM.

Le débat au Québec sur les délicates questions de la moralité et de la légalisation de l’euthanasie a été relancé depuis la publication, en janvier dernier, du rapport du comité d’experts sur la mise en œuvre juridique des recommandations de la Commission sur la question de mourir dans la dignité. Aujourd’hui, les Québécois attendent un projet de loi visant à encadrer l’aide médicale à mourir, que le gouvernement compte déposer au cours des prochains mois.

Ouvrant la porte à l’euthanasie, mais rejetant le suicide assisté, la Commission recommande de faire de l’accessibilité aux soins palliatifs une priorité. Persuadée toutefois que même les meilleurs soins palliatifs ont leurs limites, elle propose, à l’instar de ce qui se fait en Belgique, que l’aide médicale à mourir soit une option de plus dans le continuum des soins de fin de vie, pour des cas exceptionnels répondant à des critères stricts. Une personne majeure et apte, souffrant d’une maladie incurable et dont les souffrances physiques ou psychologiques ne peuvent être apaisées, pourrait demander une aide médicale à mourir. Une formulation qui en dérange certains.

«Pour ne pas effrayer les gens, on joue sur les mots en évitant l’emploi du terme euthanasie, une pratique interdite par le Code criminel canadien, observe Brian Mishara, professeur au Département de psychologie et directeur du Centre de recherche sur le suicide et l’euthanasie (CRISE). La Commission banalise l’euthanasie, car l’aide médicale à mourir n’est pas qu’un type de traitement. Elle consiste, dans les faits, à mettre fin à la vie d’une personne par compassion.»

Un débat éclairé

Michèle Marchand (Ph.D. philosophie, 05), médecin et conseillère en éthique clinique auprès de la direction du Collège des médecins du Québec, considère pour sa part que la criminalisation de l’euthanasie a longtemps empêché la tenue d’un débat éclairé sur la question. «Les travaux de la Commission ont permis d’en discuter ouvertement. Voulant éviter de centrer le débat exclusivement sur l’euthanasie et le suicide assisté, la Commission l’a élargi en l’inscrivant dans la perspective des soins appropriés en fin de vie.»

Alors que 71 % des Québécois se prononcent en faveur de la légalisation de l’euthanasie (Léger Marketing, 2010), certains organismes, comme l’Association québécoise de prévention du suicide et le réseau Vivre dans la dignité, ont réagi froidement au rapport de la Commission. D’autres, tels le Collège des médecins, le Barreau et l’Ordre des travailleurs sociaux du Québec, l’ont bien accueilli.

Valérie Chamberland (B.A. psychologie de la communication, 01; M.A. travail social, 10), chercheuse au Laboratoire de recherche sur les pratiques et les politiques sociales (LAREPPS), a présenté dans le dernier numéro de Frontières les résultats d’une enquête en ligne réalisée en 2008 auprès de travailleurs sociaux. La majorité des répondants ont déclaré que l’euthanasie et le suicide assisté n’étaient pas immoraux et devraient être permis par la loi. «Certains ont indiqué qu’ils privilégiaient l’euthanasie, le suicide assisté étant perçu comme un geste solitaire, en contradiction avec la prévention du suicide et la philosophie des soins palliatifs», précise la chercheuse.

Des soins inaccessibles

Selon un rapport de la Société royale du Canada, 77 % des Canadiens n’ont pas accès à des soins palliatifs permettant d’apaiser leurs souffrances quand ils se retrouvent en phase terminale, que ce soit à domicile, à l’hôpital ou en maison de soins. Au Québec, seuls 15 % des besoins en soins palliatifs sont comblés.

«Avant d’envisager l’euthanasie, il convient d’assurer l’accès à des soins palliatifs adéquats à l’ensemble des citoyens, souligne Brian Mishara. Aux Pays-Bas, premier pays à avoir dépénalisé l’euthanasie et le suicide assisté, plus de la moitié des demandes d’euthanasie sont refusées. Aux patients ayant essuyé un refus, on offre des interventions médicales permettant d’atténuer leurs douleurs et de calmer leurs angoisses. Après avoir reçu ces traitements, ces mêmes personnes formulent rarement une nouvelle demande. Voulons-nous d’une société où il n’y a pas d’autre choix que de continuer à souffrir ou mourir euthanasié?»

Serge Daneault (Ph.D. sciences de l’environnement, 95), médecin à l’unité de soins palliatifs de l’Hôpital Notre-Dame du CHUM, est convaincu que la plupart des demandes d’euthanasie disparaîtraient si tous les hôpitaux se dotaient d’unités de soins palliatifs et si tous les centres de santé et de services sociaux (CSSS) offraient des soins à domicile.  «Les recommandations de la Commission sur  la bonification des soins palliatifs sont le sirop visant à faire avaler la pilule, affirme-t-il. Le rapport dit que l’on n’attendra pas d’avoir un système universel de soins palliatifs avant de permettre à des patients qui le souhaitent d’obtenir l’euthanasie. Comme société, nous avons la responsabilité d’être solidaires jusqu’au bout avec les plus souffrants. Si la médecine cautionne leur souhait de mourir, elle perd sa raison d’être.»

Des approches complémentaires

Michèle Marchand n’est pas de cet avis. «Il faut cesser de croire que la médecine peut apaiser toutes les souffrances», dit-elle. À ses yeux, l’aide médicale à mourir est complémentaire aux soins palliatifs. «L’éthique médicale n’exige pas du médecin qu’il accorde un caractère sacré à la vie, mais qu’il réponde aux besoins du malade. Selon le Code de déontologie des médecins, ceux-ci doivent assurer que la mort, quand elle est inévitable, survient dans la dignité. Dans certaines situations exceptionnelles – douleurs incoercibles, agonie interminable –, l’euthanasie pourrait être l’étape ultime de soins appropriés.»

Plusieurs citoyens, des médecins y compris, considèrent que la frontière est mince entre l’euthanasie et certaines pratiques médicales de fin de vie déjà disponibles et légales au Canada, soit le refus de traitement, l’arrêt de traitement et la sédation terminale, laquelle consiste à plonger un mourant dans un état d’inconscience, même si cela a pour effet secondaire d’abréger sa vie. La distinction que l’on fait entre ces pratiques et l’euthanasie se fonde sur l’intention, observe le notaire Sarto Blouin (M.B.A. immobilier, 02), cofondateur et vice-président de la Fondation humaniste du Québec, qui a soumis un mémoire à la Commission. «On considère que, dans le cas de l’euthanasie, l’intention est de provoquer la mort, tandis que dans les autres, l’intention première est de soulager la douleur ou la souffrance. À mon avis, il n’y a pas de différence fondamentale, sur le plan éthique, entre provoquer la mort pour mettre fin à des souffrances intolérables et atténuer ces souffrances en sachant que cela entraînera la mort, à plus ou moins court terme.»

Les batailles en faveur de l’euthanasie ont été menées jusqu’à maintenant au nom du respect de l’autonomie des patients, une valeur phare dans nos sociétés occidentales. Dans tous les pays où l’euthanasie est décriminalisée, on exige d’abord que le patient soit capable de décider pour lui-même.

Michèle Marchand associe l’autonomie décisionnelle du patient au dialogue avec le médecin. «Un consensus s’est développé au Québec, selon lequel les soins sont plus appropriés quand ils sont le fruit d’un processus décisionnel bien mené, qui respecte la volonté du patient ou de ses proches et le jugement professionnel du médecin. La décision finale appartient au patient, puisqu’il s’agit de sa vie, mais elle doit reposer sur une conviction partagée à la suite d’entretiens répétés avec le médecin. On procède déjà à des arrêts de traitement en se basant sur ce processus, sans que cela entraîne d’abus. Pourquoi ne pas adopter la même approche pour l’euthanasie?», demande-t-elle.

Parce qu’il pourrait être difficile pour le patient qui a fait une demande de revenir en arrière, s’inquiète Brian Mishara. S’appuyant sur l’expérience observée en Oregon et aux Pays-Bas, celui-ci rappelle que la décision de mettre fin à ses jours est souvent instable et davantage émotionnelle que rationnelle. «Au seuil de la mort, la plupart des gens sont ambivalents, dit-il. La majorité des malades en phase terminale prennent des médicaments ayant des effets importants sur leur état émotionnel et sur leur capacité de prendre une décision éclairée. Quand on souffre, on désire une seule chose : faire cesser la souffrance.»

Bataille juridique à l’horizon

Le rapport soumis l’hiver dernier par le comité d’experts juristes, dont faisait partie Jean-Claude Hébert, professeur associé au Département des sciences juridiques, vise à alimenter le futur projet de loi sur l’aide médicale à mourir. Il propose notamment que le Procureur général du Québec émette des directives pour qu’un médecin ayant fourni une aide médicale à mourir selon les critères prévus par la loi ne puisse faire l’objet de poursuites criminelles et que les établissements de santé adoptent des protocoles de soins, entre autres pour l’aide médicale à mourir et la sédation terminale. Le hic est que l’euthanasie est toujours interdite par le Code criminel canadien.  

Jean-Claude Hébert estime que le Québec dispose d’une marge de manœuvre en raison de ses compétences constitutionnelles en matière de santé et d’administration de la justice. «Le Procureur général du Québec a le pouvoir d’émettre des directives concernant les décisions d’engager des poursuites criminelles, rappelle-t-il. Cela dit, Ottawa pourrait amender le Code criminel afin de  donner ce pouvoir au Procureur général du Canada. Ce geste politique risquerait toutefois de bouleverser les règles actuelles du fédéralisme canadien. Il est aussi possible que des groupes opposés à l’aide médicale à mourir utilisent les tribunaux pour contester la constitutionnalité de la loi québécoise. Le gouvernement conservateur cherche actuellement à  mesurer jusqu’à quel point sa base électorale et les autres provinces sont défavorables à la position du Québec.»

Le juriste croit par ailleurs que les mentalités ont suffisamment évolué pour que le Québec s’engage dans la décriminalisation de l’euthanasie. «Il y a un consensus fort dans la société québécoise en faveur d’une aide médicale à mourir qui, comme le propose la Commission sur la question de mourir dans la dignité, serait soumise à des conditions très restrictives.»

Le comité de juristes ne recommande pas l’accès à une aide médicale à mourir pour les mineurs, ni pour les personnes inaptes qui n’ont pas émis de directives anticipées, ni pour celles dont la maladie dégénérative incurable (maladie de Lou Gehrig, Alzheimer, par exemple) n’a pas atteint un stade terminal. «Que l’aide médicale à mourir soit autorisée ou non, ces cas continueront de poser des défis éthiques et devront être discutés, affirme Michelle Marchand. Chose certaine, les travaux menés depuis quatre ans auront fait progresser le débat, ne serait-ce qu’en situant l’aide médicale à mourir dans le cadre des soins de fin de vie.»