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En quête d’une identité culturelle

Les nouveaux arrivants jonglent avec différentes identités culturelles. Comment arrivent-ils à les réconcilier?

Par Pierre-Etienne Caza

15 octobre 2013 à 16 h 10

Mis à jour le 17 septembre 2014 à 19 h 09

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Rencontre d’accueil des étudiants étrangers, en septembre dernier. Photo: Nathalie St-Pierre.

Chaque automne au cours des trois dernières années, la professeure Catherine Amiot, du Département de psychologie, et son collègue Andrew Ryder, de l’Université Concordia, ont recruté des étudiants étrangers arrivés au pays depuis moins de trois mois pour une étude longitudinale portant sur la culture et l’identité. «Celle-ci vise à mieux comprendre le processus par lequel les étudiants étrangers en arrivent à développer un sentiment d’appartenance envers un nouveau groupe culturel, ainsi que les impacts de l’intégration de ces nouvelles identités culturelles sur leur bien-être psychologique», explique Catherine Amiot.

Les participants ont rempli des questionnaires à quatre reprises durant l’année: en septembre, à la mi-novembre, au début janvier et à la fin mars. «À la fin du trimestre d’hiver 2013, nous avions 131 personnes qui avaient complété les quatre questionnaires de l’étude, souligne la professeure. Nous poursuivons l’étude cette année pour obtenir un échantillon total de 200 répondants.»

Les deux chercheurs ont récemment dévoilé les premiers résultats de leur étude, basée sur un modèle théorique qui comporte quatre stades – ou configurations – identitaires: anticipation, catégorisation, compartimentation et intégration (voir encadré).

Quatre configurations identitaires

Le stade anticipatoire est celui qui précède l’arrivée des nouveaux arrivants dans le pays d’accueil. À cette étape, ils projettent leurs propres caractéristiques culturelles sur le groupe qu’ils s’apprêtent à joindre. Ils s’identifient alors aux éléments de la nouvelle culture en fonction des ressemblances avec la leur.

Le deuxième stade est la catégorisation. Les gens s’identifient à une culture de façon prédominante et c’est celle-ci qui définit leur concept de soi.

Le troisième stade est la compartimentation. Les gens reconnaissent qu’ils appartiennent à différents groupes culturels et que ces groupes font tous partie de leur concept de soi, mais ils gardent ces identités séparées et associées à des contextes de vie spécifiques: au travail, dans la famille, dans les loisirs, etc.

Le dernier stade est l’intégration. Les gens réalisent que leurs identités culturelles sont différentes, mais ils réussissent à développer un concept de soi qui les intègre toutes de façon harmonieuse.

Des Montréalais!

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La professeure Catherine Amiot. Photo: Nathalie St-Pierre.

À la grande surprise des chercheurs, le quart des répondants ont affirmé vouloir acquérir l’identité montréalaise à leur arrivée au pays. «Nous leur avions demandé: “Quelle est l’identité culturelle que vous souhaitez acquérir?” C’est la première fois qu’une recherche pose une question ouverte de la sorte, note Catherine Amiot. Habituellement, on présume que les immigrants vont désirer acquérir l’identité québécoise ou canadienne. En visant Montréal, les nouveaux arrivants choisissent une identité de proximité, concrète.»

Environ 19 % souhaitaient acquérir l’identité québécoise, près de 15 % l’identité canadienne, 12 % l’identité franco-québécoise et près de 11 % l’identité nord-américaine.

Les répondants qui ont le plus tendance à développer une intégration identitaire sont ceux qui affirment pouvoir être authentiques dans le contexte de leur nouveau groupe culturel et qui ont développé des relations positives avec leur nouvel entourage. «Lorsqu’ils ne se sentent pas acceptés, on assiste davantage à des réflexes de catégorisation ou de compartimentation», note la chercheuse.

Bien-être psychologique

Les hypothèses des chercheurs quant au bien-être psychologique ont été confirmées: l’intégration identitaire mène à plus de bien-être et la compartimentation à moins de bien-être. Mais ils ont aussi observé une diminution générale du bien-être psychologique au fil de l’année universitaire, surtout entre septembre et novembre. «C’est la période de transition où les nouveaux arrivants confrontent leurs attentes à la réalité, explique Catherine Amiot. Certains vivent du désenchantement et une forme de choc culturel. On remarque aussi une diminution du bien-être psychologique à la fin de l’hiver… comme chez plusieurs Québécois qui en ont marre de la saison froide!»

Différences universitaires

Les étudiants étrangers de l’UQAM présentent un plus grand bien-être psychologique et sont plus «intégrés» – toujours au  niveau identitaire – et moins «compartimentés» que ceux de Concordia. «À Concordia, les étudiants étrangers proviennent surtout de minorités culturelles et une plus faible proportion de ceux-ci parlent le français comme langue première, avance la professeure. En revanche, une plus forte proportion d’étudiants étrangers de l’UQAM viennent de la France. Ils ont donc possiblement plus de facilité à s’intégrer culturellement au Québec. Ce sont ces différences démographiques qui pourraient expliquer ces différences entre les universités.»

Les participants affirment être plus «intégrés» sur le plan identitaire à mesure que l’année universitaire progresse, mais on note également une augmentation significative de la catégorisation, souligne avec étonnement Catherine Amiot. «Nous croyons que pour certaines personnes, choisir une identité culturelle parmi plusieurs est une façon de “trancher” leurs débats intérieurs afin de mieux gérer l’environnement social complexe auquel elles tentent de s’adapter.»

Nés dans une famille multiculturelle

La doctorante Maya Yampolsky, qui travaille sous la direction de Catherine Amiot, a publié en mars dernier un article intitulé «Multicultural identity integration and well-being: a qualitative exploration of variations in narrative coherence and multicultural identification» Cet article, paru dans Frontiers in psychology, résume une partie de sa thèse. Il porte sur les liens entre les stades de configuration identitaire et le bien-être psychologique chez des gens nés au Québec dans une famille multiculturelle.

L’étudiante a effectué une recherche qualitative auprès de 22 personnes possédant au moins trois cultures différentes – celle de leur pays de naissance et celle de chacun de leurs parents (qui parfois en ont plus qu’une). Elle a pu comparer les gens «compartimentés», «catégorisés» et «intégrés».

Son hypothèse – les gens «intégrés» ressentent plus de bien-être psychologique – a été confirmée. Mais elle a aussi relevé une donnée surprenante: les gens «catégorisés» ont un bien-être psychologique assez élevé, plus faible que les gens «intégrés», mais plus fort que celui des gens «compartimentés». «Dans cette recherche, les individus “catégorisés” ne semblent pas être déchirés entre plusieurs cultures. Ils ont choisi une identité culturelle et sont à l’aise avec leur décision», explique Catherine Amiot.

La plupart des gens «catégorisés» dans l’échantillon choisissent la culture canadienne comme culture prédominante. «Beaucoup d’anglophones faisaient partie de son échantillon, précise la professeure Amiot. Le Canada est reconnu par certains individus comme une identité large, inclusive, multiculturelle. Peut-être même qu’en endossant cette identité, les gens sont plus à même de réconcilier l’ensemble de leurs identités culturelles. La catégorisation servirait presque d’intégration. C’est une piste à explorer.»