L’été dernier, dans un lac de Saint-Hippolyte, dans les Laurentides, les étudiants à la maîtrise Marilyne Robidoux et Anthony Merante ont construit de leurs propres mains un mésocosme, c’est-à-dire un lieu confiné et contrôlé où l’on peut faire varier les paramètres du milieu étudié. «Ce dispositif expérimental permet entre autres d’étudier des organismes comme les planctons ou les zooplanctons lorsqu’ils sont soumis à des variations d’environnement ou à des éléments toxiques», précise Alison Derry, qui supervisait les jeunes chercheurs.
La professeure du Département des sciences biologiques, qui souhaite mener d’ici quelques années le même genre de recherche dans le Nord du Québec, a obtenu une subvention de 300 000 $ du Fonds des leaders de la Fondation canadienne pour l’innovation (FCI). Ce fonds, qui vise à aider les universités canadiennes à recruter et à maintenir en poste les meilleurs chercheurs, lui a été octroyé pour son projet intitulé «Éco-evolutionary Reactions in Canadian Aquatic Ecosystems Under Current and Future Anthropogenic Stress».
«Mon projet porte sur les impacts des activités minières, des coupes forestières et des changements climatiques sur les écosystèmes d’eau douce du Nord du Québec, précise la chercheuse, embauchée à l’UQAM à l’hiver 2011. Il est impératif que nous commencions ce travail d’analyse maintenant pour que les pouvoirs publics du Québec et du Canada puissent prendre des décisions éclairées pour la conservation et la gestion efficace des ressources aquatiques menacées.» Il s’agit d’un projet unique, poursuit-elle, et, du même coup, d’un nouvel axe de recherche à la Faculté des sciences. «Ce projet se situe au croisement entre la biologie évolutive et l’écologie, une approche inédite dans le cadre de l’étude des écosystèmes aquatiques au Canada.»
La base de la chaîne alimentaire
Quelles sont les relations entre les forces écologiques et évolutives qui maintiennent la biodiversité des écosystèmes aquatiques? De quelles façons les réactions adaptatives des populations aquatiques aux stress anthropogéniques influencent-elles les interactions entre ces communautés et le fonctionnement de leurs écosystèmes? C’est ce que tente de déterminer l’équipe de recherche d’Alison Derry.
Concrètement, le mésocosme construit par ses étudiants consiste en une structure de bois à laquelle ont été fixés 72 sacs d’environ un mètre de largeur par cinq mètres de profondeur, conçus spécialement pour étudier les interactions dans l’environnement aquatique. «Lors d’une première expérimentation, nous avons modifié l’apport en carbone et en nutriments dans le mésocosme, pour observer l’effet sur la base de la chaîne alimentaire – bactéries, planctons, zooplanctons et algues. Nous connaîtrons les résultats l’été prochain.» L’intérêt principal d’une telle recherche, précise la chercheuse, est de prévoir les réactions de ces organismes dont l’environnement pourrait être chamboulé au cours des prochaines années par la hausse probable de précipitations due aux changements climatiques, qui entraîne inévitablement une augmentation du carbone dans les lacs et cours d’eau. Une deuxième expérimentation portait sur deux types de zooplancton, l’un provenant de lacs clairs et l’autre de lacs foncés. «Nous les avons soumis aux mêmes fluctuations de conditions environnementales pour voir leurs réactions.»
L’été prochain, deux autres étudiants, le doctorant Jorge Negrin Dastis et la candidate à la maîtrise Cristina Charrette, se rendront à Terre-Neuve pour étudier le «haut» de la chaîne alimentaire. «Ce projet est mené en collaboration avec le professeur Dylan Fraser, de l’Université Concordia, dit Alison Derry. Les mésocosmes fonctionnent bien avec les petits organismes, mais pas avec les poissons, car ils se sentiraient piégés et n’agiraient pas de façon naturelle.» L’étude de la partie supérieure de la chaîne alimentaire doit donc être réalisée dans de vastes environnements aquatiques.
«La mise sur pied de mon laboratoire de recherche a pour but d’offrir les meilleures possibilités de recherche à mes étudiants, au Québec, bien sûr, mais aussi ailleurs au Canada et à l’international, conclut la professeure. La chance d’intégrer une équipe de recherche dynamique est précieuse dans un parcours académique aux cycles supérieurs.»