Imaginez une montre suisse réglée au quart de tour. Tic, tac, tic… Une série complexe d’engrenages d’une précision inouïe permet de transformer l’énergie en un mouvement rotatif. Le corps humain fonctionne un peu de cette manière. Chaque organe, cellule ou protéine s’acquitte de sa tâche avec un zèle aveugle. Pourtant, certaines molécules diffèrent de leurs congénères et font preuve d’originalité. Elles sont capables de modifier leur forme, une habilité qui entraîne parfois du chaos dans un monde réglé au quart de tour. C’est à ce désordre que s’intéresse le biochimiste Steve Bourgault, qui étudie l’effet de la forme sur la fonction de biomolécules nommées peptides.
Certaines structures du corps humain sont comparables à une boîte de Légo. La base, une vingtaine de blocs différents à partir desquels tout le reste est construit, s’appelle les acides aminés. Un assemblage d’acides aminés forme une protéine. Les plus petites protéines s’appellent peptides. L’insuline en est un exemple. Et comme pour les blocs Légo, la forme du produit fini revêt une importance capitale. «Chez les peptides et les protéines, la structure tridimensionnelle importe plus que la séquence de leurs composantes», note le professeur du Département de chimie.
Généralement, les peptides et protéines n’ont que très peu de formes différentes possibles. Un peu comme une clé forgée pour n’ouvrir qu’une seule serrure, ces composés n’ont d’effets que sur une cible précise. Mais certains peptides plus souples n’obéissent pas à cette règle. Ils peuvent modifier leur forme et interagir avec plusieurs serrures. Dans certain cas, ils ont des effets imprévus, voire toxiques sur le corps. Maladie d’Alzheimer, diabète de type 2, maladie de Parkinson ou encore maladie d’Huntington, ce type de molécules polymorphiques est impliqué – sans en être nécessairement la cause initiale – dans bon nombre de maladies. Steve Bourgault étudie l’effet de l’environnement biochimique sur les formes qu’adoptent des hormones peptidiques telles que l’amyline, la calcitonine et le glucagon, à l’origine de fonctions biologiques dans le pancréas et le système digestif, entre autres. Pour mener à terme ses recherches, il vient de recevoir une bourse de 189 200 $ de la Fondation canadienne pour l’innovation (FCI) et du Gouvernement du Québec.
Téléphone et spaghetti
Dans la famille de peptides que le chercheur étudie, la forme la plus stable est la spirale. Parce que le peptide est enroulé sur lui-même, un peu comme un fil torsadé de téléphone, deux atomes éloignés de sa chaîne moléculaire peuvent être physiquement très proches et servir de clé à une cellule. Toutefois, autant le glucagon que l’amyline et la calcitonine perdent facilement cette forme. Comme un spaghetti cuit, leur forme est aléatoire. Ces composés déformés peuvent, sous certaines conditions, s’empiler les uns sur les autres et finissent par créer des agrégats qui ressemblent à du stucco, un procédé parfois très rapide. «En laboratoire, nous avons de la difficulté à travailler avec l’amyline parce qu’elle est tellement instable qu’elle perd sa forme et s’auto-assemble en agrégats très rapidement», note le biochimiste.
Ce sont ces agrégats polymorphes– aussi appelés oligomères – qui sont toxiques pour le corps. «Ils ont une structure souvent aberrante qui peut changer les mécanismes cellulaires», explique Steve Bourgault. Dans le cas de l’amyline, par exemple, ces agrégats accélèrent le développement du diabète de type 2, en raison du stress imposé au pancréas. Éventuellement, ces oligomères s’assemblent en fibres amyloïdes, une structure qui pourrait avoir comme principale fonction de les stocker. En d’autres termes, ces fibres sont la manière pour le corps humain d’empiler et de mettre à l’écart les agrégats indésirables.
Molécules échafaud
En plus d’essayer de comprendre les mécanismes de toxicité et les facteurs qui poussent un peptide à changer de forme et à s’agréger, Steve Bourgault travaille à l’élaboration de «molécules échafaud». L’idée est de créer des composés chimiques favorisant le maintien d’une structure précise dans les peptides qu’il étudie. «Nous voulons créer de petits échafaudages qui viendraient se lier spécifiquement à un peptide d’une certaine forme et le stabiliser, précise le chercheur. Nous travaillons en amont pour empêcher la formation d’agrégats.» Le biochimiste tente simultanément l’approche inverse : accélérer la formation de fibres amyloïdes pour aider le corps à se débarrasser plus rapidement des agrégats toxiques. Ces recherches, espère-t-il, permettront à terme de ralentir la progression de maladies comme le diabète de type 2.