Au printemps 1942, après le déclenchement de la bataille du Pacifique, plus de 100 000 hommes, femmes et enfants aux États-Unis seront entassés dans des centres de détention militaires, puis gardés dans un réseau de camps construits à la hâte et gérés par un nouvel organisme fédéral, la War Relocation Authority. La plupart de ces Américains d’origine japonaise resteront en captivité pendant toute la Deuxième Guerre mondiale. «C’est l’une des pires violations des droits civiques commises par les gouvernements américains et canadiens au XXe siècle», affirme Greg Robinson, dont l’ouvrage Un drame de la Deuxième Guerre. Le sort de la minorité japonaise aux États-Unis et au Canada vient de paraître en français aux Presses de l’Université de Montréal. «Et le paradoxe est que ces gestes ont été commis dans le cadre d’une guerre visant à sauvegarder la liberté et la démocratie», ajoute le professeur du Département d’histoire, membre de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand.
«Il s’agit ni plus ni moins d’une déportation intérieure, poursuit Greg Robinson. Aucune atrocité n’a été commise, mais des milliers de familles ont vécu un drame épouvantable. Elles ont été arrachées à leur domicile et forcées de vendre leurs biens ou de les entreposer durant leur détention.»
Fait inusité, les Japonais américains de la côte est – ils étaient une dizaine de milliers à New York – ont été surveillés, comme tous les étrangers ennemis, mais pas inquiétés. «Ce sont les Japonais américains de la côte ouest, jugés moins assimilés et donc moins fiables, que craignait le gouvernement américain, surtout dans l’optique d’une éventuelle invasion japonaise», explique le chercheur.
Ni les Américains d’origine allemande, ni ceux d’origine italienne n’ont été inquiétés. Pourquoi? «Parce qu’ils étaient blancs, note le chercheur. C’était avant tout une mesure raciste envers les Japonais.»
Dans son ouvrage, le chercheur explique que l’hostilité envers les Japonais remonte à plus d’un demi-siècle avant l’attaque de Pearl Harbor. «Les Américains se sont forgé une vision négative des Asiatiques dès l’arrivée des premiers immigrants chinois. En 1882, le Congrès a voté une loi d’exclusion empêchant les travailleurs chinois d’entrer aux États-Unis. Cette loi, la première du genre, était dictée autant par le racisme que par les pressions des syndicats, des journalistes et des politiciens. Les Japonais ont alors commencé à immigrer en plus grand nombre.»
D’abord perçus comme une main d’œuvre prête à travailler fort pour des salaires modestes, les Japonais installés sur la côte Pacifique des États-Unis ont ensuite connu le même sort que les Chinois. «Les Blancs ont voulu les exclure pour affirmer leur suprématie, explique le chercheur. Ils croyaient que les Asiatiques appartenaient à une race inférieure et qu’ils menaçaient leur niveau de vie.»
Les Japonais d’Hawaï
Lors de l’entrée en guerre des États-Unis, 40 % de la population d’Hawaï – qui n’était pas encore un État américain – était d’origine japonaise. «Après l’attaque de Pearl Harbor, la Loi martiale est entrée en vigueur et c’est un gouvernement militaire qui a pris le contrôle des îles, raconte Greg Robinson. Ce gouvernement a tenu tête au président Roosevelt et a refusé de mettre en détention les gens d’origine japonaise. La stratégie a porté fruit, puisque ceux-ci se sont enrôlés en grand nombre et qu’ils ont contribué massivement à l’effort de guerre américain.»
Sur le continent, c’est un peu avant la fin de la guerre, en 1944, que la Cour suprême des États-Unis a jugé illégale la détention des Japonais américains. À la fin de 1947, la plupart d’entre eux étaient de retour sur la côte ouest.
Le cas du Canada
Environ 22 000 Canadiens d’origine japonaise ont connu le même sort durant la guerre. Ils ont été déportés dans d’anciennes villes minières dépeuplées et dans des camps de l’est de la Colombie-Britannique, sous la Loi des mesures de guerre. «Les déportés canadiens n’ont même pas eu la possibilité d’entreposer leurs biens. Ils ont été obligés de les vendre pour payer leur détention», précise Greg Robinson.
La fin de la guerre s’est déroulée différemment de ce côté-ci de la frontière. À la demande des autorités de la Colombie-Britannique, le gouvernement fédéral a ordonné aux Canadiens d’origine japonaise de se réinstaller dans l’est du pays ou de retourner au Japon! La majorité s’est dirigée vers Toronto, mais la ville n’a pas voulu les accueillir. «C’est comme ça qu’ils sont arrivés à Montréal, le seul endroit où ils étaient accueillis sans restriction, conclut le chercheur. La communauté japonaise du Québec compte aujourd’hui environ 5 000 personnes. Il s’agit de la plus importante communauté japonaise francophone au monde.»