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Un patrimoine mal aimé

La professeure Joanne Burgess plaide en faveur de la préservation et de la mise en valeur du patrimoine industriel.

Par Claude Gauvreau

23 janvier 2012 à 0 h 01

Mis à jour le 17 septembre 2014 à 19 h 09

Le ministère de la Culture et des Communications du Québec a annoncé récemment qu’il déposera l’automne prochain une stratégie globale pour la sauvegarde du patrimoine religieux. Assurer la pérennité des lieux de culte représente un enjeu majeur, mais un autre patrimoine, le patrimoine industriel, mérite aussi d’être préservé, souligne la professeure Joanne Burgess, du Département d’histoire. Également directrice de l’Institut du patrimoine de l’UQAM, elle a participé en novembre dernier au congrès annuel de l’Association québécoise pour le patrimoine industriel (AQPI), qui portait sur les méthodes et critères permettant d’identifier les éléments incontournables du patrimoine industriel montréalais.

Le patrimoine industriel demeure méconnu et regroupe un ensemble d’éléments matériels (bâtiments, équipements, machines, outils, archives) et immatériels (savoir-faire reliés au monde du travail, histoires d’entreprises et histoire ouvrière). «L’idée que l’héritage laissé par l’industrie fasse partie de notre patrimoine culturel est relativement récente, dit Joanne Burgess. Des spécialistes se penchent sur ce volet de notre passé depuis une trentaine d’années seulement.»

La nature complexe du patrimoine industriel – entreprises sur le point de fermer ou encore en opération, bâtiments et équipements de gros gabarit, sites, machines et archives menacés de destruction – rend par ailleurs son étude ardue, poursuit la professeure. En outre, des changements accélérés, technologiques entre autres, ont modifié la base industrielle du Québec ces 30 dernières années, entraînant la disparition quasi complète de la pétrochimie et des grands chantiers de construction navale du Saint-Laurent, sans compter que des villes minières de la Côte-Nord ont été rayées de la carte.

Des lieux de mémoire

Le patrimoine industriel est aussi un patrimoine mal aimé, observe Joanne Burgess. «On associe généralement le patrimoine à la beauté, alors que le patrimoine industriel est souvent synonyme de laideur, de saleté, voire de pollution. Pour d’autres personnes, l’industrialisation au Québec évoque la domination étrangère et les conflits ouvriers.»

Dans plusieurs petites villes, les citoyens entretiennent un rapport intime avec le patrimoine industriel parce qu’il est étroitement lié à la vie et au développement de leur région, note la chercheuse. «À Montréal, toutefois, où l’activité industrielle est davantage diversifiée et diffuse, la population s’identifie plus difficilement à ce patrimoine.»

L’histoire de milliers de travailleurs se profile derrière les usines et les manufactures, rappelle Joanne Burgess. «La sauvegarde des bâtiments industriels sert la mémoire collective en faisant de ces lieux des témoins privilégiés de l’évolution économique, technique et sociale. L’histoire industrielle et des quartiers ouvriers est aussi essentielle à la compréhension de l’avènement du Québec moderne.»

50 sites incontournables

Depuis les années 80, des efforts ont été faits pour préserver le patrimoine industriel montréalais. Mais comment réutiliser et mettre en valeur les sites et bâtiments? Faut-il les reconvertir en condos, en espaces à bureaux ou en complexes commerciaux? Que faire des bâtiments aux formes originales, comme l’ancien silo à grain no 5, situé dans le Vieux-Port de Montréal? Pour certains, les tours de béton du silo sont laides et cachent inutilement le paysage. Pour d’autres, elles dégagent une véritable esthétique moderne. Désaffecté depuis 1995, ce silo demeure l’un des derniers vestiges de l’activité industrielle dans le Vieux-Port au début du XXe siècle. Reconnu édifice patrimonial par le gouvernement fédéral pour sa valeur historique et architecturale, il a suscité plusieurs débats mais son sort n’est toujours pas fixé.

«On ne pourra pas tout protéger, affirme Joanne Burgess. Il faut d’abord dresser un inventaire des lieux et des bâtiments dont l’intégrité et l’authenticité témoignent le mieux du rôle et des effets de l’industrialisation sur la société québécoise, tout en documentant ce qui risque de disparaître à très court terme.» L’AQPI a d’ailleurs conclu une entente avec Québec afin d’identifier 50 sites incontournables. «On doit aussi former une instance de concertation, ajoute la chercheuse, à l’image de celle affectée au patrimoine religieux, composée de propriétaires de biens industriels et de spécialistes du patrimoine.»

Joanne Burgess croit que l’on peut s’inspirer d’expériences étrangères, comme celle de la vallée de la Ruhr, en Allemagne. Longtemps considéré comme la plus grande région industrielle de l’Europe, le bassin houiller de la Ruhr abrite encore aujourd’hui une grande partie de la production allemande de fer, d’acier, de produits chimiques et de textiles. «Une véritable culture industrielle existe dans cette région, dit la professeure. Malgré plusieurs démolitions, un grand nombre de sites miniers ont été préservés, reconvertis parfois en musées et ouverts au public. Les autorités ont choisi de conserver des sites représentatifs d’une technique particulière, d’une architecture ou d’une époque.» La région de la Ruhr est même devenue, en 2010, la capitale européenne de la culture!