Depuis 2007, l’organisme culturel MU crée des murales intérieures et extérieures dans différents milieux de travail, avec la participation des employés. Quelque 300 personnes du centre administratif de Rona, à Boucherville, ont récemment défilé, pendant six jours, pour ajouter leur coup de pinceau aux tableaux de l’artiste Gilles Doré, créés expressément pour cette entreprise. Depuis quelques années, Lucie Hébert, animatrice professionnelle, offre à des gestionnaires des jeux d’improvisation théâtrale. Activités futiles, dites-vous? Non, répond la professeure Isabelle Mahy, du Département de communication sociale et publique, qui considère que les pratiques artistiques peuvent contribuer à réenchanter le monde du travail.
Chercheuse au Centre de recherches sur les innovations sociales de l’UQAM, Isabelle Mahy était membre du comité scientifique du Symposium international Médiation artistique et innovation managériale, tenu à Montréal en décembre dernier. Portant sur la contribution de l’art au renouvellement des pratiques de management, l’événement était organisé en collaboration avec Culture pour tous, organisme à but non lucratif voué à la démocratisation de la culture au Québec. Il a réuni une centaine de personnes, dont des conférenciers venus d’Italie, de Finlande, de Suisse et de France.
«Le monde du travail est un univers désenchanté, voire toxique, affirme la professeure. Stress, burnout, absentéisme élevé, les symptômes ne manquent pas. Un tel contexte, aggravé par la crise économique des dernières années, interpelle de plus en plus les dirigeants d’entreprises et d’organisations.»
Des initiatives émergentes
Isabelle Mahy aime citer en exemple les initiatives de Culture pour tous qui, bien qu’embryonnaires, ouvrent des pistes nouvelles. Cet organisme vise à encourager la participation culturelle des citoyens en rapprochant les artistes et les processus créatifs des milieux de vie, dont celui du travail. «L’art ne doit pas être confiné aux seuls lieux à vocation culturelle, croit la professeure. Il doit pouvoir être apprécié au cœur des lieux de vie des citoyens.»
Culture pour tous a créé, entre autres, un programme novateur, La culture en entreprise, qui offre une banque d’activités culturelles – opéra à l’heure du lunch, conférences d’artistes sur la créativité – adaptées aux besoins des organisations. L’organisme propose également, depuis 2007, le programme Art au travail avec la collaboration d’artistes et d’entreprises privées, publiques et parapubliques. Une trentaine de projets ont été réalisés à ce jour dans différentes régions du Québec.
«Évidemment, le fait d’accrocher des tableaux sur les murs d’une salle de réunion ou d’impliquer des employés dans des ateliers de création chorégraphique ne transformera pas ipso facto les relations de pouvoir et les rapports hiérarchiques présents dans la plupart des organisations, souligne Isabelle Mahy. Cela dit, l’art ne se réduit pas à une fonction décorative ou de divertissement. Il peut aussi servir de levier pour améliorer le bien-être au travail, stimuler la créativité et renforcer le lien social.» Dans les hôpitaux, par exemple, où l’atmosphère est souvent lourde (omniprésence de la maladie, angoisse de l’attente, course effrénée du personnel, décors austères et vétustes), la présence de l’art contribue à humaniser les lieux et permet aux patients comme aux employés d’accéder à la beauté et à l’émotion, qui sont aussi des composantes du processus de guérison.
Sortir des vieux modèles
Les entreprises et organisations sont encore peu nombreuses à ouvrir leurs portes aux pratiques artistiques, observe la chercheuse. «Les grandes bureaucraties fonctionnent de manière mécanique et sont particulièrement résistantes au changement, alors que les organisations de plus petite taille favorisent davantage l’autonomie des gens. C’est la culture d’une organisation, c’est-à-dire son système de croyances, de valeurs, de normes et de règles, qui détermine le degré d’ouverture aux initiatives créatrices.»
Isabelle Mahy croit en la nécessité de mettre en place des espaces de parole par le biais de démarches artistiques en vue de changer les environnements de travail. «Sortons des vieux modèles, fondés sur la compétition et les stimulants matériels, et explorons d’autres avenues, même si leurs contours sont encore flous, dit-elle. Donnons aux gens l’occasion de vivre des expériences alternatives.»