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Réhabiliter les conflits urbains

La mobilisation citoyenne assure la viabilité des milieux urbains.

Par Claude Gauvreau

16 avril 2012 à 0 h 04

Mis à jour le 17 septembre 2014 à 19 h 09

Depuis quelques années, le projet de reconstruction de l’échangeur Turcot, le plus gros carrefour autoroutier au Québec, suscite la controverse. En février dernier, évoquant les impacts néfastes de la pollution routière sur la santé de la population, la Direction de la santé publique de Montréal s’est opposée à l’aménagement d’aires de jeux pour enfants et de jardins communautaires à proximité du futur échangeur, tel que proposé par le ministère des Transports du Québec.

Selon Catherine Trudelle, professeure au Département de géographie et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les conflits socioterritoriaux et la gouvernance locale, le projet de reconstruction du complexe Turcot risque de transformer radicalement le cadre de vie de la population du sud-ouest de Montréal. «L’an dernier, des centaines de résidants de ce quartier avaient manifesté leur opposition au projet et avaient réclamé que des mesures soient prises pour réduire la circulation automobile et pour favoriser le développement des transports collectifs», rappelle-t-elle.

Cette jeune chercheuse est responsable de l’Observatoire des conflits urbains et périurbains de l’UQAM. Créé il y a deux ans, celui-ci se veut un lieu d’échanges et de collaboration entre des chercheurs qui s’intéressent aux activités conflictuelles. Il fait d’ailleurs partie du Réseau d’observatoires des conflits urbains des Amériques. «Notre observatoire, le seul du genre en Amérique du Nord, regroupe un noyau d’une quinzaine de professeurs et d’étudiants de l’UQAM et de l’Université Laval, précise Catherine Trudelle. Nous avons aussi des liens avec des chercheurs au Brésil, en Colombie, au Chili, en Espagne et au Portugal.»

Faut-il craindre les conflits?

L’Observatoire s’intéresse plus spécifiquement aux conflits qui touchent l’aménagement du territoire et la gouvernance urbaine : mouvements d’opposition au gaspillage des fonds publics et à la sous-représentation de certains groupes sociaux (femmes, personnes âgées, jeunes) dans le processus décisionnel, luttes pour des logements décents ou pour une plus grande accessibilité aux services publics, ou contre la construction d’un méga centre commercial dans un quartier patrimonial.

La viabilité des milieux urbains, souligne la professeure, ne peut être assurée que par la participation et la mobilisation citoyennes, par une gouvernance locale inclusive, par une planification et un aménagement guidés par des valeurs de justice sociale, d’accessibilité et de solidarité. «La population de l’arrondissement Villeray-Saint-Michel, à Montréal, s’est mobilisée pour transformer le site de l’ancienne carrière Miron, où se trouvait un dépotoir, pavant ainsi la voie à l’établissement de la Cité des arts du cirque (la Tohu), un projet qui a favorisé la relance du quartier.»

Catherine Trudelle déplore la tendance de certains leaders d’opinion à diaboliser les conflits, comme s’ils nuisaient à la démocratie et entraînaient l’immobilisme ou la paralysie. «Je crois qu’il faut, au contraire, les réhabiliter, dit la chercheuse. Les conflits urbains permettent aux acteurs concernés de prendre position, d’exprimer leurs valeurs et les forcent à rechercher des consensus. Ils contribuent à renforcer le jeu démocratique et à établir des compromis durables.»

En collaboration avec des collègues espagnols, Catherine Trudelle a entrepris une analyse comparative des conflits urbains survenus à Montréal et à Valence entre 1995 et 2005. «Toutes proportions gardées, on constate que les conflits à Montréal – où la culture de la consultation est davantage institutionnalisée – durent plus longtemps, mais sont moins fréquents et moins violents que dans la cité espagnole.»