Il y a 20 ans, l’expression «proche aidant» n’existait pas. «Il allait de soi de prendre soin de ses parents vieillissants, de son conjoint diminué ou de sa sœur malade, rappelle Nancy Guberman, professeure associée à l’École de travail social. Aujourd’hui, cela est perçu comme un rôle qui s’ajoute à une vie déjà bien remplie. En plus de son identité familiale, professionnelle et sociale, on peut aussi se définir comme un proche aidant.»
Nancy Guberman est membre du Centre de recherche en gérontologie sociale du Centre de santé et de services sociaux (CSSS) Cavendish, où des intervenants ont constaté, il y a quelques années, que les proches aidants avaient changé. «Les vieilles dames reconnaissantes qui avaient coutume de les remercier pour leur soutien ont disparu, remplacées par des baby-boomers revendicateurs, qui formulent plus de plaintes», raconte la chercheuse.
À la demande du CSSS, un projet de recherche a été mis sur pied afin d’analyser si les baby-boomers ont des valeurs et des pratiques véritablement différentes de leurs prédécesseurs dans le rôle de proches aidants. Cette étude subventionnée par les Instituts de recherche en santé du Canada a donné lieu à un article – «Baby Boom Caregivers : Care in the Age of Individualization» – publié récemment dans la revue Gerontologist.
Un discours différent
«La nature de l’aide n’a pas changé depuis 20 ans», note Nancy Guberman. L’ampleur des tâches à accomplir est la même : prodiguer des soins réguliers (changer des couches, donner un bain, etc.), préparer les repas, offrir le transport vers l’hôpital lorsque nécessaire, vendre la maison, s’occuper des papiers notariés, trouver une résidence, etc. C’est le discours qui a changé.
L’échantillon de recherche était composé d’une quarantaine de baby-boomers, nés entre 1945 et 1955, qui agissent comme proches aidants auprès d’un membre de leur famille. «Plusieurs affirment mettre des limites, ils veulent conserver leur vie professionnelle et sociale, ils ne veulent pas sacrifier leur vie comme leurs mères l’ont fait. Pourtant, ils prennent soin d’un de leurs proches et en vivent les effets directs. Il existe un décalage entre ce qu’ils disent vouloir et ce qu’ils vivent réellement», note Nancy Guberman.
Le fait de devenir un proche aidant modifie également la façon dont certains de ces baby-boomers se perçoivent. La première cohorte de cette génération, née entre 1945 et 1950, a été choyée en règle générale. «C’est la génération de la sécurité d’emploi, des fonds de pension, qui a les moyens de voyager, explique la chercheuse. Nos sujets ne s’en cachent pas lorsqu’on les interroge à ce sujet. Mais, en devenant proches aidants, ils ont l’impression de renoncer à leurs valeurs individualistes et donc à leur identité de baby-boomers.»
De plus grandes attentes
Le désir avoué de ne pas être confiné exclusivement à un rôle de proche aidant a pour corollaire de grandes attentes envers les services publics. Les baby-boomers estiment que la tâche de laver une personne malade, par exemple, devrait être effectuée par des personnes dûment formées. «Ils ont grandi avec l’implantation du système de santé universel, rappelle la chercheuse. Alors ils revendiquent haut et fort pour obtenir des soins, ils font des plaintes, en disant qu’ils essaient seulement de défendre les droits de leurs proches. Il faut leur concéder qu’il est vraiment difficile de naviguer dans le système, en raison des nombreuses contraintes budgétaires qui ont réduit l’offre de services.»
Chaque année, des journalistes appellent Nancy Guberman, comme s’ils venaient de découvrir la dure réalité des proches aidants. «Ça fait 20 ans que l’on fait des recherches sur le sujet et les constats sont les mêmes», se désespère la professeure à la retraite, qui ne cache pas son amertume face au peu de répercussions politiques qu’ont provoqué ses études et celles de ses collègues.
Un système peu flexible
«Le système est très peu flexible en ce qui a trait à l’offre de services, déplore-t-elle, alors que l’idéal serait d’amener les intervenants des services sociaux à concevoir leur travail comme un partenariat avec les proches aidants et les personnes âgées. Par exemple, au lieu d’offrir des soins déterminés à l’avance sans pouvoir en déroger, on pourrait donner le choix aux bénéficiaires selon leurs besoins réels, au cas par cas. Mais, pour cela, il faudrait tout un changement de cap.»