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Plan Nord : les enjeux culturels

Des chercheurs de l’UQAM ont soumis un mémoire qui prône la sauvegarde du patrimoine culturel dans le nord du Québec.

Par Claude Gauvreau

6 février 2012 à 0 h 02

Mis à jour le 17 septembre 2014 à 19 h 09

Les Cris de Mistissini, dans le nord du Québec, ont érigé une barricade pour empêcher le prolongement de la route 167 – premier jalon du Plan Nord de Jean Charest –, qui doit mener à des mines d’uranium et de diamant. Les Cris reprochent au gouvernement de les avoir ignorés dans l’octroi du contrat de construction et d’avoir empiété sur leur territoire de trappe sans même les dédommager ni même les prévenir.

Selon Daniel Arsenault, professeur au Département d’histoire de l’art, «le gouvernement doit interdire toute activité industrielle sur 50 % du territoire couvert par le Plan Nord et implanter un système de consultation continue avec les Premières nations, les Inuits et les communautés nordiques non-autochtones.» Avec ses collègues Yves Bergeron (histoire de l’art), Daniel Chartier (études littéraires) et Laurier Turgeon (Université Laval), cet anthropologue a soumis un mémoire au ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs. Ce dernier a produit l’automne dernier un document de consultation faisant état de l’engagement gouvernemental à protéger l’environnement, la biodiversité et le patrimoine naturel sur la moitié du territoire concerné par le Plan Nord.

Les signataires du mémoire appuient les efforts visant à sauvegarder le patrimoine naturel mais considèrent que le document de consultation néglige l’importance de préserver les ressources culturelles dans une perspective de développement durable. «Outre leur biodiversité, leurs immenses réserves d’eau douce et leurs richesses forestières et minières, les régions nordiques du Québec recèlent un patrimoine culturel unique sur la planète, constitué notamment de sites historiques et archéologiques et de biens mobiliers de différentes époques, souligne Daniel Arsenault. Ces régions sont aussi habitées, depuis des centaines d’années, par des peuples autochtones et des collectivités de descendance européenne qui tiennent à préserver leurs langues, leurs cultures, et leurs savoir-faire, ainsi que certains aspects de leur mode de vie ancestral, dont ceux liés aux activités de chasse, de pêche ou de cueillette.»

Plus que des marchandises

Brièvement évoqué dans le document du ministère, le patrimoine culturel est surtout considéré pour ses retombées économiques, déplore le professeur. «Le patrimoine autochtone, on le sait, peut contribuer au développement du tourisme culturel, lequel représente une importante source de revenus. Cependant, les biens patrimoniaux sont bien plus que des marchandises. Aux yeux des communautés nordiques, ce sont aussi des outils d’affirmation identitaire et de transmission culturelle pour les générations actuelles et à venir. Les multiples témoignages historiques – villages, campements, cimetières, sites de peintures et de gravures, sentiers de portage, infrastructures industrielles – forment un patrimoine culturel irremplaçable qui mérite d’être reconnu, protégé et valorisé.»

Le mémoire recommande par ailleurs la mise en œuvre d’un programme d’évaluation du potentiel patrimonial du Nord québécois, en partenariat avec les peuples autochtones, les autres communautés nordiques et les spécialistes du domaine. «Il reste à identifier et à découvrir plusieurs sites et monuments historiques, ainsi que des biens mobiliers d’importance artistique et architecturale, observe Daniel Arsenault. C’est pourquoi nous proposons que des inventaires archéologiques et ethnologiques soient effectués, conformément à l’esprit de la Loi sur le patrimoine culturel québécois.»

Des zones grises

De nombreux projets de développement, appuyés par des capitaux nationaux et étrangers, sont prévus dans le cadre du Plan Nord. Selon le document de consultation du ministère, le gouvernement envisage la mise en place d’aires protégées (12 %) et de zones de conservation (38 %) sur 50 % du territoire visé. «Le document demeure toutefois ambigu, souligne le professeur, car il indique que les activités d’exploitation forestière et d’exploration minière n’entraînant pas d’impacts significatifs sur la biodiversité et les écosystèmes seront autorisées. De plus, il n’y a pas un mot concernant les impacts possibles sur le patrimoine culturel.»

Daniel Arsenault souhaite envoyer une lettre aux journaux, appuyée par des chercheurs de différentes universités, qui reprendrait les grandes lignes du mémoire, avant la tenue d’une commission parlementaire préalable à l’adoption d’un projet de loi en 2012. «Le Plan Nord suscite un intérêt grandissant au sein de la communauté universitaire, souligne l’anthropologue. En décembre dernier, des professeurs de différentes facultés de l’UQAM se sont réunis pour réfléchir à des projets de recherche rassembleurs en lien avec le Plan Nord.» Lui-même est responsable d’un projet de recherche international sur la patrimonialisation des biens culturels autochtones. D’une durée de quatre ans, ce projet regroupe une vingtaine de chercheurs du Canada, d’Australie, de Nouvelle-Zélande, d’Afrique du Sud, de Scandinavie, des États-Unis et d‘Amérique latine.

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On peut consulter la liste d’experts de l’UQAM à propos du Plan Nord.