Pas facile d’empêcher la contrefaçon, le plagiat ou la violation de la propriété intellectuelle sur Internet. Des élus américains ont proposé deux projets de loi plutôt musclés qui ont suscité une vague de protestations à travers le pays. Le PROTECT IP Act (PIPA), proposé au Sénat en mai 2011, et le Stop Online Piracy Act (SOPA), proposé à la Chambre des représentants en octobre dernier, visent même à étendre le pouvoir des tribunaux américains au-delà des frontières du pays. Le PIPA propose de leur permettre d’ordonner aux principaux fournisseurs d’accès Internet le blocage de l’accès aux sites contrevenants à la loi, tandis que le SOPA suggère de pénaliser les sites visés avec des moyens comme la suspension des revenus publicitaires et des transactions en provenance de services comme PayPal, ainsi que l’interruption de référencement sur les moteurs de recherche. Il rendrait également délictuels les sites de partage de contenus protégés.
Contrer la violation de la propriété intellectuelle est un objectif louable, mais la manière suggérée par le SOPA et le PIPA va à l’encontre de tout ce que représente Internet depuis sa création, c’est-à-dire un réseau de communication libre et sans entraves, soutiennent les nombreux opposants aux projets de loi. Certains vont même jusqu’à associer ce type de lois aux comportements adoptés vis-à-vis Internet par les régimes répressifs au cours des dernières années.
«Ce sont des projets de loi exagérés, affirme François Blanchard, chargé de cours au Département des sciences juridiques. Ils ont été élaborés par des élus qui ont vraisemblablement subi des pressions de la part des principales corporations détentrices de droits d’auteurs aux États-Unis, comme la Motion Picture Association of America ou la Record Industry Association of America, qui sont de grandes contributrices aux caisses électorales», explique-t-il.
Le professeur Bernard Motulsky, du Département de communication sociale et publique, n’est pas aussi tranchant. «Habituellement, le processus législatif a le temps de s’adapter aux impacts des nouvelles technologies, mais dans le cas d’Internet, tout est allé trop vite, explique le titulaire de la Chaire de relations publiques et communication marketing. Le piratage et la violation des droits d’auteurs y perdurent depuis trop longtemps. Il faut qu’une négociation entre les deux positions aboutisse à de nouvelles règles qui encadreront mieux la propriété intellectuelle.» Ce ne sont pas uniquement les grandes compagnies qui profiteraient d’une loi claire, ajoute-t-il, mais aussi les artistes créateurs de contenu.
Le droit de se défendre
L’aspect qui irrite le plus les spécialistes en droit à propos de ces projets de loi est la latitude qui serait octroyée aux tribunaux. «Ceux-ci pourraient trancher et imposer des sanctions sans que le propriétaire du site visé ne puisse se défendre, explique François Blanchard. Un procureur ou un demandeur privé n’aurait qu’à présenter des preuves de ce qu’il avance pour que le processus soit enclenché.» Ceci viole le principe du droit à la défense en privant une personne de sa propriété sans un procès équitable lui donnant l’occasion d’être entendu, affirment haut et fort les opposants aux projets de loi.
Bloquer l’accès à des sites, comme le propose le PIPA, risquerait en plus d’inciter certaines personnes à créer un système parallèle, et l’on assisterait alors à une «balkanisation de l’Internet», poursuit le chargé de cours. Ce glissement est toutefois inévitable, croit Bernard Motulsky. «À partir du moment où l’on réglemente un domaine, il y aura toujours des pirates qui voudront créer des systèmes parallèles. La clé repose dans la capacité du législateur à appliquer ce qu’il veut réglementer, de façon à minimiser ces systèmes parallèles.»
Le partage des fichiers
Les sites de partage de fichiers sont directement visés par le SOPA. «On ne pourra pas empêcher les particuliers de s’échanger des fichiers à titre personnel, mais comme dans l’industrie de l’imprimé, il y a moyen de légiférer pour empêcher une utilisation illégale à grande échelle», croit Bernard Motulsky.
Le 18 janvier dernier, plusieurs sites américains, dont Wikipédia, ont été rendus indisponibles pour la journée afin de protester contre le PIPA et le SOPA. «L’équipe du président Obama a fait savoir que celui-ci refuserait d’approuver ces projets de loi», note François Blanchard. Les sénateurs et les représentants du Congrès concernés ont fait marche arrière et ont convenu de reporter la poursuite des travaux à plus tard. Reviendront-ils à la charge avec une autre version? «Il le faut», conclut Bernard Motulsky, qui estime que l’un des outils fondamentaux pour «policer» le Web consiste à limiter ou à empêcher l’utilisation des modes de paiement (PayPal et autres services de crédit) par les sites pirates. À suivre…