«Le secteur de la formation professionnelle au Québec est mal connu et mal aimé», affirme d’emblée Céline Chatigny. Spécialiste de la santé au travail, la professeure du Département d’éducation et formation spécialisées s’est penchée récemment sur la condition des enseignants de la formation professionnelle, plus nombreux à abandonner la profession que leurs collègues de l’enseignement régulier. «La précarité des emplois, des conditions d’insertion difficiles et un manque de ressources expliquent ce phénomène», révèle-t-elle dans un article – «Training yourself while training students : The constant challenge of vocationnal training teachers» – publié dans la revue Work en collaboration avec l’assistante de recherche Sophie Lévesque et la doctorante Jessica Riel.
C’est à la demande d’une commission scolaire que cette recherche, financée par le FQRSC, a vu le jour. «Nous avons choisi un centre de formation professionnelle qui souhaitait mieux comprendre les problèmes de santé vécus par ses enseignants en lien avec les exigences du travail», note la chercheuse, membre du Centre de recherche interdisciplinaire sur la biologie, la santé, la société et l’environnement (CINBIOSE).
Ergonome de formation, Céline Chatigny estime que la notion de santé au travail est encore méconnue. «Les gens pensent davantage à la sécurité, aux accidents et aux contraintes physiques, explique-t-elle. La posture, les mouvements et les interactions avec les outils et les objets de l’environnement de travail intéressent principalement l’ergonomie américaine. Un autre courant, français celui-là, mise sur une intervention élargie, qui inclut la santé psychologique, l’organisation du travail et de la formation. Dans le cas des enseignants de la formation professionnelle, c’est là que se situent les enjeux.»
Seuls au monde
Des entretiens avec une douzaine d’enseignants en décoration intérieure, en vente conseil et en dessin de bâtiment, ainsi que des périodes d’observation sur les lieux de travail ont permis de tracer un portrait précis de leurs tâches et de leurs conditions d’emploi.
Ces enseignants n’ont pas le même profil que les autres enseignants du secondaire, précise la chercheuse. «Ce sont d’abord et avant tout des experts dans leur métier (ébénisterie, comptabilité, coiffure, etc.) qui décident un jour d’enseigner, sans avoir étudié dans le domaine. Ils arrivent à l’université pour obtenir leur brevet d’enseignement, tout en continuant à donner leurs cours, à élever leur famille et, pour plusieurs, à poursuivre leur pratique. Ils savent ce que représente la conciliation travail-famille-études!»
Les défis se posent au moment même de l’embauche, car ils sont souvent appelés à travailler dès la semaine suivante… ou le lendemain matin! «Ils n’ont pas le temps de se préparer, explique-t-elle. Il faudrait des ressources pour les accompagner, mais celles-ci sont souvent inexistantes. Au mieux, ils ont la chance d’arriver au sein d’une équipe où les collègues s’épaulent et où les cours sont déjà construits. Autrement, ils sont seuls pour construire un cours à partir de leur expérience du métier. Or, ce ne sont pas des experts en enseignement.»
Le manque de ressources et de temps pour concevoir des outils pédagogiques adéquats sapent le moral des troupes. Le fait d’être débordé et le stress entraînent souvent un sentiment d’incompétence, qui vient s’ajouter aux inquiétudes quant à la précarité de l’emploi. Le burn-out n’est jamais très loin… «Toujours pour les autres, car c’est encore tabou d’en parler à propos de soi-même», précise la chercheuse.
Un métier valorisant
Malgré ces durs constats, les enseignants de la formation professionnelle apprécient leur travail. «Ce sont des gens passionnés par leur métier qui ont délibérément choisi de l’enseigner, note la professeure. Ils y trouvent une valorisation qui semble compenser les conditions négatives, du moins pour ceux et celles que nous avons rencontrés.»
Les résultats de cette recherche ont été soumis au comité de suivi du centre de formation, qui en disposera à son gré. «Notre but est d’influencer les politiques des milieux de travail ou de contribuer à la transformation concrète de situations quotidiennes. Espérons que cela se produira pour la santé de ces travailleurs», conclut Céline Chatigny, qui travaille actuellement avec les partenaires sociaux du monde de l’éducation et de la santé /sécurité afin de développer des pistes de travail pour améliorer les conditions de santé des enseignants.