Qu’on les apprête au vin blanc ou à la crème, les moules ont beaucoup d’adeptes : au Canada, on en récolte plus de 20 000 tonnes par année. Mais avant d’atterrir dans nos supermarchés, les moules doivent être débyssées, c’est-à-dire départies de leur byssus, ce faisceau de fils dorés et rêches qui leur permet de se fixer aux rochers.
Pour l’instant, le byssus est simplement jeté aux ordures, ce qui représente 200 tonnes de déchets par année. Isabelle Marcotte, professeure au Département de chimie, et son collègue Christian Pellerin, de l’Université de Montréal, veulent lui trouver un meilleur usage. Le byssus possède en effet des propriétés exceptionnelles.
«En fait de résistance, de rigidité et d’élasticité, le byssus est uniquement surpassé par la soie d’araignée», affirme la Isabelle Marcotte. La toile des aranéides, on le sait, est un matériau vedette plus solide que l’acier et ses usages potentiels sont multiples.
Une complexité inouïe
Pour percer le secret du byssus de Mytilus edulis – l’espèce de moules la plus répandue sur la côte atlantique – et comprendre ses atouts mécaniques, l’équipe d’Isabelle Marcotte étudie sa structure moléculaire grâce à des techniques de résonance magnétique nucléaire et de spectroscopie. Chaque fil du byssus est composé d’une interminable protéine riche en collagène, dont la composition atomique varie d’une extrémité à l’autre du filament. L’ensemble est d’une complexité inouïe : selon les observations de l’équipe, certaines zones du byssus sont plus dynamiques que d’autres et les molécules y possèdent davantage de liberté de mouvement.
Isabelle Marcotte veut comprendre comment différents facteurs – comme la température, la disponibilité de la nourriture ou la turbulence des courants marins – affectent la résistance du byssus. Pour ce faire, elle collabore avec Réjean Tremblay, de l’Institut des sciences de la mer de Rimouski (ISMER). Ce dernier a démontré que l’automne, quand la mer est houleuse, le byssus peut résister à une traction de 40 Newtons – l’équivalent de la force exercée par une bouteille d’eau de Javel en suspension – alors que l’été, la moitié de cette force suffit pour arracher le mollusque de son site d’ancrage. Le but de cette analyse : pouvoir planifier la récolte du byssus au moment opportun, de façon à maximiser les propriétés des biomatériaux qui en résulteront.
Tendons artificiels et fil de suture
C’est dans les salles d’opération que le byssus pourrait éventuellement faire son entrée. Tendons artificiels, fil de suture ou véhicule pour administrer des médicaments : les possibilités sont multiples pour cette excroissance rêche du mollusque, dont la haute teneur en protéines diminue les risques de rejet par le corps humain.
À plus court terme, les travaux des chimistes de l’UQAM sont porteurs d’espoir pour les myticulteurs, en particulier ceux affiliés au Centre maricole des Îles-de-la-Madeleine (MAPAQ), qui participent à l’étude. À l’heure actuelle, ces derniers perdent jusqu’au tiers des moules qu’ils produisent. Il faut savoir qu’elles sont cultivées autour d’un câble sous-marin auquel elles s’accrochent. Or, beaucoup d’entre elles tombent au fond de l’eau.
En plus de constituer une perte importante pour l’industrie, ce phénomène créé une accumulation de matière organique dans les fonds marins, appelée eutrophisation. Isabelle Marcotte veut régler ce problème : «En comprenant mieux les mécanismes qui influencent la force d’attachement des moules, on pourra suggérer de nouvelles méthodes d’élevage et de récolte. De plus, on pourra valoriser une fibre qui est normalement jetée, ce qui ouvre un nouveau marché pour les éleveurs!»
Qui aurait cru que des chimistes, dans leur laboratoire, allaient un jour aider des producteurs de moules à arrondir leurs fins de mois?