Avec une centaine de jardins communautaires et de toits verts, plus d’une cinquantaine de jardins collectifs, une dizaine de jardins institutionnels, des ruches et des ruelles vertes, Montréal fait belle figure en matière d’agriculture urbaine. Trente pour cent des résidants de la communauté métropolitaine de Montréal disent la pratiquer.
«L’agriculture urbaine, c’est la production alimentaire en ville. Elle peut prendre différentes formes : dans des bacs, des jardins, sur les rampes extérieures, les balustrades, les balcons, dans les espaces vacants, entre les bâtiments. L’agriculture urbaine est aujourd’hui en plein essor à Montréal, ainsi que dans plusieurs villes des États-Unis et d’Europe», dit Éric Duchemin (B.Sc. géologie, 93; M.Sc. sciences de la Terre, 96; Ph.D. sciences de l’environnement, 00), professeur associé à l’Institut des sciences de l’environnement et membre du Collectif de recherche sur l’aménagement paysager et l’agriculture urbaine durable de l’UQAM, le CRAPAUD, qui exploite un jardin au Complexe des sciences et un autre sur le toit du Pavillon de Design.
Le programme de jardins communautaires de Montréal, implanté dans les années 1970 à la suite d’un incendie majeur dans le quartier Centre-Sud, est l’un des plus importants des villes industrialisées. «Le programme était aussi une solution à la hausse des prix des aliments provoquée par la crise du pétrole», explique Éric Duchemin. Il existe aujourd’hui des jardins communautaires dans la plupart des arrondissements de la ville. Chez nos voisins du Sud, crise économique oblige, le phénomène prend de l’ampleur. Seattle a modifié son schéma d’aménagement pour intégrer l’agriculture urbaine. La Ville possède des ruches, et permet aux citadins d’avoir des lapins, des poules et… des chèvres! Décimée par le chômage, la ville de Détroit, dont la population est passée de plus de deux millions à quelque 700 000 âmes, a vu plusieurs de ses terrains vacants transformés en champs de légumes. Même la Maison blanche a son jardin!
En Europe, des villes comme Londres, Paris, Lyon et Berlin suivent le mouvement. Le programme Vacant Lot prend d’assaut les terrains vagues et autres espaces négligés de la ville de Londres pour les transformer en espaces de verdure, améliorer le tissu urbain et briser l’isolement des communautés. La culture se fait dans des sacs, ce qui permet de transporter le jardin si le propriétaire du terrain souhaite le reprendre. De même, Berlin est reconnu pour son Prinzessinnengarten, où les plantes et fleurs comestibles, ainsi que les légumes biologiques sont cultivés dans des sacs, bacs, caisses à pain ou bouteilles en plastique facilement transportables.
Des initiatives citoyennes
Au cours des dernières années, les projets d’agriculture urbaine mis en place par des citoyens se sont multipliés à Montréal. Apparus dans les années 90, les jardins collectifs ont une vocation sociale. Contrairement aux jardins communautaires gérés par le Service des loisirs de la Ville, où chaque jardinier possède son jardinet individuel, la production et les récoltes s’y font en groupe. Gérés par des organismes de quartier qui offrent parallèlement des services de banque alimentaire, d’achats regroupés ou de cuisine collective, les jardins sont aussi un lieu d’éducation. «Dans une cour d’école, par exemple, le jardin peut servir d’outil pédagogique pour les enfants, dit Anne-Marie Legault (M.Sc. sciences de l’environnement, 11), dont le projet de maîtrise portait sur les jardins collectifs. Ailleurs, des ateliers sur le compostage ou la lutte écologique contre les insectes sont offerts.»
Aujourd’hui conseillère en développement en Montérégie, Anne-Marie Legault a travaillé sur plusieurs projets d’agriculture urbaine, notamment dans le cadre de Nourrir Montréal. Ce programme, qui a pour but de favoriser l’accès à une alimentation de qualité à coût abordable pour tous les citadins, contribue à la mise sur pied de marchés saisonniers dans les quartiers de Montréal et soutient les initiatives d’agriculture urbaine des citoyens. Anne-Marie Legault a aussi participé, en partenariat avec le Cœur des sciences de l’UQAM, à la conception d’une balade scientifique sur l’agriculture urbaine qui permet de découvrir les jardins de la ville.
Dans le Plateau Mont-Royal et la Petite Italie, l’organisme Fruit défendu propose aux propriétaires d’arbres fruitiers de récolter leurs fruits afin d’éviter le gaspillage. Appelée garden sharing, cette pratique permet de partager les récoltes (fruits, légumes, etc.) entre le propriétaire, un organisme de charité ou une banque alimentaire, et les cueilleurs bénévoles. Pour sa première année, en 2011, l’organisme a récolté 122 kilos de fruits.
L’été dernier, des poules ont élu domicile dans un poulailler jouxtant le jardin collectif de l’organisme communautaire La Maisonnette des parents, situé dans le quartier Petite-Patrie. Contrairement à des villes comme Vancouver, Kingston, New York, Los Angeles et Chicago, qui ont depuis quelques années réintroduit l’élevage des poules en ville pour consommation personnelle, Montréal continue d’interdire cette pratique, prohibée depuis 1966. Seule exception : la garde des poules à des fins éducatives, comme c’est le cas à la Maisonnette des parents. Pour autoriser leur venue, le conseil d’arrondissement de Rosemont─Petite-Patrie a toutefois dû modifier son Règlement sur le contrôle des chiens et autres animaux.
À Montréal, on retrouve des ruches sur le toit du Complexe des sciences Pierre-Dansereau de l’UQAM, dans les jardins de l’Université de Montréal, au Bain Mathieu, au Santropol roulant et dans les jardins des Sœurs hospitalières de l’Hôtel-Dieu. Les abeilles jouent un rôle de premier plan dans la production agricole grâce à la pollinisation des plantes et des arbres, augmentant ainsi les récoltes de fruits et légumes. Selon le professeur Duchemin, les abeilles citadines peuvent produire jusqu’à 80 kilos de nectar par saison, soit près de trois fois plus que leurs consoeurs des campagnes, davantage affectées par l’usage des pesticides. «Je ne peux pas dire que le miel de l’UQAM a un goût de lavande ou de fleurs sauvages, dit-il en riant, mais il est succulent!»
Même les entreprises commencent à s’intéresser à l’agriculture urbaine. Le restaurant Crudessence cultive des légumes biologiques sur le toit du Palais des congrès, alors que la Caisse populaire du Mont-Royal, sur le Plateau, offre une partie des récoltes qui poussent sur son toit à des organismes du quartier. L’OSBL Santropol roulant fait pousser sur son toit de la rue Roy des légumes destinés à sa cuisine, où des bénévoles s’affairent chaque jour à la préparation de repas pour les démunis. Les sièges sociaux d’entreprise comme Aldo et le Cirque du Soleil ont quant à eux aménagé des jardins pour leurs employés sur leurs terrains.
Des toits verts
En janvier 2011, les Fermes Lufa ont ouvert l’une des plus grandes serres commerciales au monde installées sur un toit. Située près du Marché Central, la serre de 2 880 mètres, faite d’une structure de métal durable recouverte de vitres en verre ignifuge, abrite des fruits et des légumes cultivés sans pesticides, que l’entreprise livre tous les jours à ses clients dans différents points de chute à travers la ville, même en hiver. Produits localement et cueillis le jour même, les produits sont toujours frais!
Pour Antoine Trottier (M.Sc. sciences de l’environnement, 10), qui a démarré avec un ami une entreprise de jardins sur les toits, La ligne verte, ceux-ci sont une solution à la pénurie de terrains en ville. «Les terrains coûtent de plus en plus cher et sont utilisés pour construire des habitations. Dans un tel contexte, les toits verts sont un moyen d’agrandir le territoire du jardinage», explique le chroniqueur de la nouvelle émission de Ricardo sur l’agriculture urbaine, Le fermier urbain, qui sera diffusée à compter du 26 avril sur les ondes de Radio-Canada. Un toit vert coûte cher, entre 15 000 $ et 20 000 $, concède l’entrepreneur, mais il est facile d’entretien et a une plus longue durée de vie qu’un toit ordinaire, en plus d’encourager la biodiversité et d’aider à réduire la pollution. Et on peut en installer à peu près partout : même sur les bâtiments construits dans les années 1920!
En plus d’embellir la ville, en occupant notamment des terrains autrement laissés à l’abandon, «le jardinage est aussi un moyen fantastique pour rapprocher les gens», note Anne-Marie Legault. Des citadins habitant depuis des années le même quartier apprennent à se connaître en partageant des trucs de jardinage. «Faire pousser des tomates, des radis ou des légumes exotiques permet de favoriser la mixité sociale et de rassembler des gens de différentes origines, qui autrement ne se parleraient pas», renchérit Éric Duchemin.
Selon lui, en tant que ville UNESCO de design, Montréal doit tracer le chemin en matière de design vert. «On retrouve très peu de verdure dans le Quartier des spectacles, note-t-il. On pourrait installer au milieu du béton des bacs roulants où l’on pourrait faire pousser des plantes potagères durant l’été.»
Responsable des dossiers matières résiduelles et espaces verts au Conseil régional de l’environnement de Montréal, Marie-Ève Chaume (B.A. science politique, 07; M.Sc. sciences de l’environnement, 10) rêve pour sa part de «paysages comestibles» (edible landscapes). «Le long des allées de parc, on pourrait planter des arbres fruitiers, des framboisiers, des pruniers ou des pêchers, que les passants pourraient cueillir et manger.» Elle cite en exemple la ville de Vancouver, qui a été l’hôte, en 2011, d’un projet pilote d’arbres fruitiers plantés dans les parcs publics. Et que dire d’un vignoble pour Montréal comme celui du quartier Montmartre, à Paris? «La ville pourrait devenir un vaste laboratoire pour tester de nouvelles formes d’agriculture. Elle pourrait même vendre ses fruits et légumes», lance-t-elle.
Une charte montréalaise
Malgré l’engouement des Montréalais pour le jardinage, des spécialistes et autres observateurs du milieu sonnent l’alarme. «Des villes comme Paris, Toronto ou Vancouver font la promotion de l’agriculture urbaine ou soutiennent les initiatives des citoyens en la matière, ce que ne fait pas Montréal, déplore Anne-Marie Legault. Le Plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD) de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), adopté en 2011, en est une preuve : il effleure à peine la question.»
Pour tenter d’intéresser la ville au phénomène, l’École d’été en agriculture urbaine de l’UQAM, organisée depuis trois ans par le CRAPAUD en association avec l’Institut des sciences de l’environnement, a rédigé, en août dernier, une charte montréalaise visant l’intégration et la reconnaissance de l’agriculture urbaine dans les politiques municipales, provinciales et nationales. Plusieurs organismes communautaires, regroupés au sein du Groupe de travail en agriculture urbaine (GTAU), ont fait circuler une pétition pour forcer la Ville à tenir une consultation publique sur l’état de l’agriculture urbaine à Montréal. Quelque 25 000 personnes ont signé la pétition l’automne dernier, 10 000 de plus que le nombre de signatures requis pour la tenue d’une consultation.
«Montréal possède une solide expertise dans le domaine de l’agriculture urbaine, dit Éric Duchemin. Mais elle doit à tout prix protéger son patrimoine et ses terres consacrées à l’agriculture urbaine et ne pas oublier ses acquis. Ne manque que la volonté politique pour faire changer les choses.»