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Tous des homo ludens

Les jeux vidéo en ligne rassemblent des millions de personne sur la planète, dans un nouvel espace de socialisation.

Par Claude Gauvreau

24 janvier 2011 à 0 h 01

Mis à jour le 17 septembre 2014 à 19 h 09

Après l’Homo sapiens (qui sait) et l’Homo faber (qui fabrique), voici l’Homo ludens : une espèce pour laquelle l’acte de jouer constitue une fonction vitale. Et qui est de plus en plus répandue. À preuve, 1,5 million de Québécois ont pris part à des jeux en ligne en 2010, selon un sondage réalisé par Léger Marketing. Ce type de divertissement, qui a connu un taux de croissance de 46 % depuis un an, regroupe à la fois des jeux traditionnels – loterie, cartes, échecs, poker – et une panoplie de jeux vidéo des plus sophistiqués.

La popularité grandissante des jeux en réseau a conduit à la formation, depuis une dizaine d’années, d’un nouveau domaine de recherche que les Américains ont baptisé Game Studies. À l’UQAM, les professeurs Charles Perraton (Département de communication sociale et publique) et Magda Fusaro (Département de management et technologie) codirigent le groupe de recherche Homo Ludens, créé en 2006, qui s’intéresse aux jeux vidéo en ligne. En novembre dernier, Homo Ludens et le centre de recherche Techno – culture, Art and Games de l’Université Concordia se sont associés pour organiser le colloque international Le jeu vidéo en ligne : nouvel espace de socialisation.

Les travaux des chercheurs de l’UQAM portent principalement sur les «jeux en ligne massivement multi-joueurs» (Massively Multi-player Online). «Ces jeux, qui regroupent des milliers de personnes aux quatre coins de la planète, sont souvent fondés sur des thèmes fantastiques, inspirés de la science-fiction ou de l’époque médiévale, explique Maude Bonenfant, coordonnatrice d’Homo Ludens. Plusieurs comportent des éléments de quête ou une mission à accomplir, permettant aux joueurs de développer des stratégies et d’établir des alliances.» C’est le cas de World of Warcraft qui rassemble plus de 12 millions de joueurs.

Liens d’amitié

Le profil-type de l’adepte du jeu vidéo n’existe pas, affirme la chercheuse. Et tous les joueurs ne sont pas des accros socialement carencés. «Les joueurs sont de tout âge et proviennent de tous les milieux. Bien que les hommes soient majoritaires, les femmes sont de plus en plus nombreuses. Enfin, la grande majorité des joueurs ont une vie en dehors des jeux, un travail et des amis, souligne Maude Bonenfant. Plusieurs d’entre eux ont simplement décidé de consentir moins de temps à certains loisirs, comme la télévision, pour mieux se consacrer aux jeux vidéo.»

Les joueurs ne jouent pas seulement pour le plaisir ou pour passer le temps, poursuit la chercheuse. Les jeux leur permettent aussi de développer le sens du leadership et de la diplomatie, d’apprendre des langues étrangères et de s’ouvrir à d’autres cultures. «Les jeux constituent de véritables médias de socialisation, contribuant ainsi à effacer la frontière entre les mondes réel et virtuel, observe pour sa part Charles Perraton. Un garçon de 13 ans s’est retrouvé responsable d’une communauté de joueurs composée d’adultes, alors que d’autres ont établi des liens d’amitié qui les ont conduits à rencontrer leurs amis virtuels aux États-Unis ou en Europe.»

La crainte de la dépendance, qui préoccupe les parents et les médias, alimente les préjugés à l’égard des amateurs de jeux vidéo, soutiennent les deux chercheurs. «La cyberdépendance existe mais ne touche qu’une minorité de joueurs», insiste Maude Bonenfant. «Certes, il y a intérêt à réguler les jeux, surtout les jeux d’argent. Mais la dépendance est-elle vraiment causée par le jeu? N’y a-t-il pas plutôt prédisposition à la dépendance chez certains joueurs?», demande Charles Perraton.

Les règles du jeu

Plusieurs joueurs sont animés par le désir d’expérimenter et d’innover, souligne le co-directeur d’Homo Ludens. «Les joueurs s’approprient les règles et parviennent parfois à développer des usages qui n’avaient pas été prévus à l’origine par les concepteurs, l’objectif étant d’améliorer le jeu et d’en tester les limites.»

Pour faire respecter l’esprit du jeu, les communautés de joueurs établissent des mécanismes d’autorégulation et des conventions. Les tricheurs, par exemple, risquent l’exclusion. Il existe également des relations hiérarchiques entre dominants – ceux qui performent mieux que les autres – et dominés, ainsi que des formes d’entraide, comme ailleurs dans la société.

Selon Charles Perraton, «la puissance d’attraction des jeux est liée à l’exploration de mondes virtuels où l’âge, le genre, la culture et le statut social ne décident pas du sort de chacun et où les identités sont modifiables et perfectibles. Plusieurs joueurs sont ainsi représentés par des avatars, personnages fictifs qu’ils peuvent transformer et faire progresser.»