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Sauvons les abeilles!

Partout dans le monde, on observe une diminution importante des populations de pollinisateurs.

Par Marie-Claude Bourdon

4 avril 2011 à 0 h 04

Mis à jour le 17 septembre 2014 à 19 h 09

Les abeilles se meurent. Ce phénomène, qui touche par contrecoup la production agricole dans de nombreux pays, prend des proportions épidémiques. Au Québec, la crise du varroa a remis à l’avant-plan les problèmes des apiculteurs. Ce petit parasite qui s’est introduit dans nos campagnes au milieu des années 2000 a détruit sur son passage la moitié des ruches! Depuis, on a trouvé des produits permettant de lutter contre le varroa. Mais les abeilles continuent de tomber… comme des mouches!

«Les problèmes des abeilles ne datent pas d’hier, souligne Madeleine Chagnon, professeure associée au Département des sciences biologiques. Ils ont commencé avec la révolution verte de l’après-guerre, avec l’intensification de l’agriculture.» Dans les années 80, à une époque où l’arrosage de pesticides par avion était encore répandu au Québec, la biologiste avait été mandatée pour enquêter sur les causes de mortalité massive des abeilles. On a alors commencé à promouvoir des mesures visant à éloigner les précieuses bestioles des pesticides, en recommandant aux agriculteurs de ne pas arroser les cultures en fleur, de ne pas mettre les ruches à proximité des zones d’épandage, etc.

Si de telles mesures, relativement simples, contribuent pour beaucoup à améliorer le sort des pollinisateurs, elles ne règlent pas tout. Les arrosages par avion sont aujourd’hui moins fréquents, mais l’utilisation de substances toxiques dans l’agriculture n’a pas cessé. Entre autres, les nouvelles semences enrobées de pesticides contribuent à répandre ces produits dans l’environnement. Des poussières de pesticides se retrouvent lessivées dans les bordures, où poussent les pissenlits et les marguerites que butinent les abeilles.

Syndrome d’effondrement des ruches

En plus du varroa, on observe depuis quelques années un nouveau phénomène qui cause des ravages dans les populations d’abeilles. «Quand une ruche est infestée par le varroa, toutes les abeilles tombent mortes, précise la biologiste. Le nouveau syndrome d’effondrement des colonies cause plutôt la disparition des abeilles : la ruche se vide.»

Bien que le mystère ne soit pas encore éclairci, de nombreuses hypothèses ont été avancées pour expliquer les causes de ce phénomène appelé colony collapse disorder (C.C.D.) aux États-Unis. «On pense entre autres qu’une nouvelle classe de pesticides, les néonicotinoïdes, homologués depuis quelques années au Canada et utilisés notamment dans la culture des petits fruits, auraient des effets neurotoxiques», explique Madeleine Chagnon. Ces effets pourraient affecter la mémoire, l’olfaction, le contrôle de la température ou même le système de communication extrêmement sophistiqué de ces insectes sociaux. «Les abeilles ne seront plus capables d’effectuer les danses visant à indiquer aux autres membres de la colonie où se trouvent les sources de pollen ou alors ce sont ces dernières qui ne seront plus en mesure de les décoder.» C’est d’ailleurs l’observation d’abeilles semblant désorientées ou incapables de voler normalement qui a amené les Français à donner à ce syndrome le nom de «maladie de l’abeille folle».

Doses sous-létales

Différents pathogènes seraient également impliqués dans l’apparition du syndrome de l’effondrement des colonies. «Pour bien des gens, cette explication exclut le rôle des pesticides, note la chercheuse, mais il est tout à fait possible que des doses sous-létales de pesticides puissent affecter les abeilles non seulement sur le plan neurologique, mais également sur le plan immunitaire, et favoriser le développement des maladies.»

Quand on procède à des tests d’homologation d’un pesticide avec des abeilles en cage, on cherche à déterminer à partir de quelle dose on observe un effet létal sur l’insecte, explique Madeleine Chagnon. Il est par contre impossible, dans ce type d’environnement, d’étudier l’effet des doses sous-létales. «Or, on pense qu’une exposition chronique à une dose sous-létale de pesticides peut avoir un effet de potentialisation sur le développement de différentes maladies.»

D’autres facteurs contribuent sans doute à la mauvaise santé des abeilles. Ainsi, la perte de biodiversité et l’augmentation des monocultures pourraient avoir des effets sur la qualité de leur régime alimentaire. Dans le cadre de l’un des projets de recherche auxquels elle contribue, la biologiste va d’ailleurs tester l’effet de suppléments de pollen apportés aux abeilles. Elle travaille également avec sa collègue Monique Boily, professeure associée au Département des sciences biologiques, à l’identification de biomarqueurs permettant de démontrer l’effet des pesticides.

«Le problème, avec plusieurs pesticides, c’est qu’ils se dégradent très rapidement, explique la chercheuse. Il devient donc très difficile pour le biologiste d’en identifier la présence. D’où l’intérêt du biomarqueur.»

Les travaux auxquels Madeleine Chagnon collabore sont financés par le MAPAQ ainsi que par Agriculture et Agroalimentaire Canada. «Dans certaines régions d’Asie, on a commencé à utiliser des ouvriers agricoles pour polliniser les cultures au pinceau, affirme-t-elle. Il ne faudrait pas oublier que la pollinisation est un fier service que nous rendent gratuitement les insectes pollinisateurs, et en particulier les abeilles. Si on ne fait pas attention à leur environnement, il faudra un jour en payer les conséquences.»