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Repenser l’éthique de la recherche

Les conditions actuelles de la recherche appellent un renouvellement de la réflexion sur les questions d’éthique.

Par Claude Gauvreau

16 mai 2011 à 0 h 05

Mis à jour le 17 septembre 2014 à 19 h 09

L’éthique de la recherche, qui permet de protéger les êtres humains contre les risques que pourraient comporter certaines études pour leur bien-être, est en crise. C’est le constat que dresse le dernier numéro de la revue Éthique publique, intitulé «Responsabilité sociale et éthique de la recherche», publié sous la direction des professeurs Jean-Marc Larouche et Florence Piron, du Département de sociologie de l’UQAM et de l’Université Laval.

L’obligation de protéger les droits et d’obtenir le consentement libre et éclairé des sujets humains participant à une recherche constitue depuis longtemps la pierre angulaire de l’éthique de la recherche. «Ce sont les expériences criminelles menées par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale et les bavures graves commises dans les années 50 et 60 par des chercheurs américains dans le domaine biomédical qui ont conduit à l’élaboration de codes de conduite éthique», rappelle Joseph Josy Lévy, professeur au Département de sexologie et président du comité d’éthique de la recherche à l’UQAM.

Depuis, les universités ont créé des comités d’éthique institutionnels, dont le rôle consiste à valider les projets de recherche impliquant des sujets humains. Au Canada, les trois conseils subventionnaires fédéraux – Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie, Conseil de recherches en sciences humaines et Instituts de recherche en santé – obligent les universités à se doter de tels comités. «Leur rôle et leur fonctionnement ont toutefois fait l’objet de plusieurs critiques ces dernières années», souligne Jean-Marc Larouche.

Un dispositif bureaucratique

Les chercheurs universitaires, particulièrement en sciences sociales, déplorent la lourdeur du dispositif d’évaluation et d’approbation éthique qui freine parfois le développement de la recherche. Ils critiquent également l’application uniforme de règles importées du modèle de recherche biomédical. «L’éthique est plus qu’un ensemble de consignes, de prescriptions et d’interdictions. Elle devrait inciter à réfléchir sur les raisons et les motivations qui guident les chercheurs et donnent un sens à leur travail», affirme Joseph Josy Lévy.

Le processus d’évaluation éthique s’est complexifié avec le développement des recherches multidisciplinaires, partenariales et internationales, poursuit Jean-Marc Larouche. De plus, le nombre de dossiers que les comités doivent examiner a augmenté, car les projets de recherche des étudiants de cycles supérieurs doivent aussi être approuvés.

Les deux chercheurs reconnaissent par ailleurs que la nouvelle politique des trois conseils subventionnaires en matière d’éthique de la recherche, adoptée en décembre 2010 à la suite d’un long processus de consultation, comporte des améliorations. «Cette politique insiste avec raison sur la règle de la proportionnalité selon laquelle plus les populations avec lesquelles travaillent les chercheurs sont vulnérables, plus les mesures de protection doivent être importantes, explique Joseph Josy Lévy. Elle reconnaît également la diversité des approches et méthodes de recherche caractérisant les sciences sociales, domaine où les risques potentiels pour le bien-être physique et psychologique des sujets sont moins élevés que dans le monde biomédical.»

Éthique et responsabilité sociale

Jean-Marc Larouche et Joseph Josy Lévy considèrent que le mandat et les fonctions des comités d’éthique ne sont plus adaptés aux enjeux auxquels les chercheurs sont actuellement confrontés : influence croissante du secteur privé sur l’orientation de la recherche, valorisation des retombées économiques et commerciales de la recherche, poursuites-bâillons, recherches commanditées…

Il est souhaitable d’élargir la réflexion en abordant l’éthique sous l’angle de la responsabilité sociale des chercheurs, soutient Jean-Marc Larouche. Quand les chercheurs en sciences sociales contribuent à une meilleure compréhension de ce qui est à l’œuvre dans les rapports sociaux – relations de pouvoir, valeurs de justice, d’égalité et de dignité -, ils participent au progrès des connaissances et effectuent un travail éthique permettant d’éclairer leurs concitoyens sur des enjeux collectifs. «Évidemment, les approches des sciences sociales sont différentes de celles des sciences de la nature, souligne le sociologue. Mais les chercheurs en sciences de la nature peuvent aussi faire face à des défis en matière de responsabilité sociale, comme c’est le cas dans les dossiers du réchauffement climatique et de l’exploitation des gaz de schiste.»

Aux yeux des deux professeurs, on ne peut réduire l’éthique de la recherche à une déontologie, à des procédures de gestion de normes. Les comités d’éthique, disent-ils, doivent devenir des lieux d’animation et de discussion, plutôt que d’examen et d’arbitrage.