Depuis plus de 40 ans, Yolande Cohen s’intéresse au rôle des femmes dans l’histoire. Après avoir publié de nombreux ouvrages sur le sujet, la professeure du Département d’histoire, spécialiste de l’histoire sociale et des mouvements sociaux contemporains, a décidé de se pencher sur les femmes actives dans les associations caritatives au Québec. Son dernier livre, Femmes philanthropes. Catholiques, protestantes et juives dans les organisations caritatives au Québec, vient de paraître.
Cet ouvrage est le fruit de 10 ans de recherche dans les archives québécoises. Lors de ce travail, Yolande Cohen a constaté l’importance des associations volontaires et bénévoles dans l’histoire des femmes, un aspect méconnu. «Les questions sociales ont souvent été abordées à travers l’histoire des syndicats et de l’État, mais rarement du point de vue des femmes, explique-t-elle. J’ai voulu leur redonner la parole. Je l’ai fait dans un but purement historique, mais aussi pour comprendre l’influence que ces femmes exerçaient sur le monde politique grâce à la philanthropie.»
Importance politique
Yolande Cohen s’est intéressée principalement à trois associations : la Fédération nationale Saint-Jean-Baptiste, la Young Women’s Christian Association (YWCA) et le National Council of Jewish Women. «Ces associations ont toujours été considérées comme dépendantes des religions et sans importance politique, alors que c’est tout le contraire, affirme l’historienne. Elles ont joué un rôle majeur dans l’acquisition des droits civiques des femmes et dans l’élaboration de politiques publiques qui annoncent l’État Providence.»
La chercheuse précise s’être centrée sur les associations qui étaient les plus à même d’avoir une influence sur la réforme de l’État. Dans son livre, elle montre d’ailleurs comment ces associations se sont distancées de l’Église et comment, malgré leurs confessions différentes, elles se rejoignent dans leurs actions.
Les associations caritatives ont vu le jour au Canada entre 1870 et 1914, époque où les femmes n’avaient pas le droit de suffrage. En menant des activités philanthropiques associées à leur rôle féminin et maternel, comme le secours aux pauvres, l’accueil des immigrants et des réfugiés et l’aide aux mères et aux enfants, ces femmes ont pu agir dans la sphère publique, espace qu’elles vont contribuer à développer.
D’après la chercheuse, c’est avec l’appui des hommes que ce mouvement de femmes a pu être entendu et déboucher sur des politiques publiques.
Un discours maternaliste
Véhiculant un discours maternaliste qui prônait la reconnaissance sociale des mères, les leaders de ces associations ont été critiquées par les féministes d’aujourd’hui. Pourtant, ces philanthropes étaient aussi des féministes et elles ont largement pris part à l’évolution de la place des femmes dans la société de l’époque, assure Yolande Cohen. «C’étaient des réformatrices, qui ont contribué à la sécularisation de l’État en interpellant les autorités sur des questions sociales.»
Les membres des associations caritatives ont été initiatrices de grandes réformes. «Les associations philanthropiques ont élaboré des politiques hygiénistes et ont encouragé la professionnalisation des compétences féminines, ouvrant ainsi l’accès au marché du travail pour les femmes», précise l’historienne.
Selon la professeure, l’histoire des femmes est souvent appréhendée à travers le prisme de la domination masculine, alors que la réalité historique est plus complexe. «Il ne faut pas nier la domination masculine, qui est systémique et importante, mais ce n’est pas la seule clé de lecture. Les femmes philanthropes ont eu un certain pouvoir et elles ont été actrices de leur vie», fait valoir Yolande Cohen. Le livre dresse d’ailleurs le portrait de plusieurs femmes qui ont joué un rôle important dans ces organisations et dans l’évolution des droits des femmes, dont Marie Lacoste Gérin-Lajoie (mère de Marie Gérin-Lajoie, première femme à avoir obtenu un diplôme de l’Université de Montréal) et Grace Ritchie-England, première femme diplômée en médecine au Québec.
Femmes philanthropes. Catholiques, protestantes et juives dans les organisations caritatives au Québec est le quatrième ouvrage issu des recherches dans les archives du Québec de l’historienne. Après s’être intéressée aux femmes rurales et aux infirmières, qui font l’objet de deux livres, elle souhaite prolonger son travail sur les associations caritatives. Son but est de comparer leur rôle dans la construction de l’État Providence au Québec et en France.