«Historiquement, au Québec, ce sont des femmes non autochtones qui ont lutté pour le droit des femmes et ce sont des hommes autochtones qui ont lutté pour le droit des Autochtones, explique Josée-Anne Riverin, agente de développement au Service aux collectivités (SAC) de l’UQAM.
«À plusieurs égards, les femmes autochtones ont été oubliées et ne sont pas protégées par les politiques et les législations en vigueur», précise la coordonnatrice du projet Wasaiya, mis sur pied en 2008 à la demande de l’organisme Femmes autochtones du Québec, en collaboration avec le SAC et le professeur Bernard Duhaime, du Département des sciences juridiques de l’UQAM. Dans le cadre de ce projet, une dizaine de femmes autochtones ont reçu une formation afin de pouvoir à leur tour animer au sein de leur communauté des séances de sensibilisation aux droits de la personne et au droit à l’égalité.
«Le fait d’être femme et autochtone entraîne souvent une double discrimination, poursuit Josée-Anne Riverin. Mais pour déceler cette double discrimination, encore faut-il savoir la reconnaître!» Voilà pourquoi les formations données aux femmes autochtones comportaient deux volets. «Le premier se penche sur les grands principes du droit international et du droit canadien, tandis que le second expose trois cas précis de double discrimination», explique l’agente du SAC.
Deux cas
La transmission du statut d’Indien et le concept de paternité non déclarée constituent deux problématiques évoquées lors des séances de sensibilisation. Avant 1985, la Loi sur les Indiens stipulait qu’une femme autochtone qui mariait un blanc perdait automatiquement son statut d’autochtone (alors que dans le scénario inverse, la femme blanche qui épousait un autochtone acquérait le statut d’Indien).
En 1985, le statut d’Indien a été rétabli pour les femmes autochtones mariées à des non-autochtones. Toutefois, plusieurs problèmes persistent. «Pour transmettre son statut d’Indien, une femme autochtone doit obligatoirement obtenir la reconnaissance de la paternité par le père autochtone, explique Josée-Anne Riverin. S’il n’y a pas de père, on présume que celui-ci est blanc et l’enfant est alors considéré comme étant à moitié autochtone. Dans une situation de violence conjugale, ces dispositions légales forcent la femme autochtone à choisir entre son intégrité physique et la transmission à son enfant de sa culture et de tous les droits économiques qui s’y rattachent.»
Le même exemple s’applique aux biens immobiliers matrimoniaux. Les femmes autochtones ne bénéficient pas des dispositions du Patrimoine familial; elles sont plutôt soumises à la Loi sur les Indiens, qui ne couvre pas ces aspects. Dans le cas d’une rupture pour cause de violence conjugale, la femme autochtone perd tout, car les biens immobiliers sont souvent au nom du mari. «Puisque les communautés sont surpeuplées et qu’il y a un manque criant de logements, la femme autochtone qui décide de fuir un conjoint violent doit souvent quitter sa communauté et renoncer à ses repères identitaires et à sa culture», précise la coordonnatrice du projet Wasaiya.
Les retombées du projet
Pour ce projet, le SAC a obtenu une subvention de près de 100 000 $ du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec. Les fonds ont permis de créer le poste de coordonnatrice, de produire un manuel de formation et de se rendre dans les communautés pour superviser les premières séances de sensibilisation. En contrepartie, l’UQAM a octroyé deux dégrèvements afin de libérer Me Bernard Duhaime, qui est également directeur de la Clinique internationale de défense des droits humains (CIDDHU) de l’UQAM. «Nous avons mobilisé deux équipes d’étudiants de la CIDDHU pour collaborer à la préparation du manuel», précise ce dernier.
Jusqu’à présent, des formations ont été données à une dizaine de femmes autochtones qui ont ensuite organisé des séances de sensibilisation au sein de leur communauté, à Mashteuiatsh (Innues), Wendake (Hurons-Wendats), Ekuanitshit (Innues), Odanak (Abénakis), et Wetomaci (Atikamekws). D’autres séances sont prévues au printemps à Kahnawake (Mohawks), Listiguj (Micmacs), Val-d’Or (Cris), Maniwaki (Algonquins) et Kawawachikamach (Naskapis).
«C’est un véritable projet d’empowerment, commente fièrement Me Duhaime. Nous aurions pu aller nous-mêmes effectuer des séances de sensibilisation dans les communautés autochtones, mais l’impact à long terme n’aurait pas été le même. Nous voulions outiller les femmes autochtones et permettre à Femmes autochtones du Québec de réutiliser le matériel à sa guise.»