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La mode intelligente

Conceptrice de vêtements à la fois techno, modulables et ludiques, la professeure Ying Gao présentera une rétrospective de ses œuvres en juin prochain au Musée des beaux-arts de Québec.

Par Valérie Martin

16 mai 2011 à 0 h 05

Mis à jour le 17 septembre 2014 à 19 h 09

Dans son atelier lumineux situé en plein cœur du centre-ville, la professeure Ying Gao et son assistante de recherche, l’étudiante au baccalauréat en gestion et design de mode Isabelle Campeau, s’affairent aux derniers préparatifs avant l’événement. Elles repassent, rapiècent et testent les dispositifs électroniques des vêtements-prototypes qui feront partie de la première exposition solo de Ying Gao dans un grand musée québécois, présentée cet été au Musée des beaux-arts de Québec, du 9 juin au 28 août.

Professeure à l’École supérieure de mode et à l’École de design depuis 2003, la designer conçoit des vêtements modulables qui interagissent avec l’environnement. Son tout premier projet interactif, Walking City, lancé en 2005, incorpore un système pneumatique à des robes. L’usager souffle dans un tube afin de faire gonfler la robe, ce qui donne l’impression que le vêtement respire comme si on lui avait greffé un poumon artificiel. Encore aujourd’hui, Walking City reste l’un de ses projets les plus marquants. «Ce sont les prémisses de ma recherche, mes premiers pas dans l’expérimentation», dit la designer, détentrice d’un baccalauréat en gestion et design de mode et d’une maîtrise en multimédia interactif de l’UQAM.

Ying Gao présente par la suite les «petites sœurs» de Walking City, Living Pod et Playtime, «des créations qui interagissent avec la lumière ou le son.» Dans Playtime, des robes en super organza (un tissu modifié, à la fois délicat et résistant) se mettent à frétiller en réaction au cliquetis du flash d’une caméra. De petits dispositifs électroniques ont été intégrés aux vêtements, ce qui leur permet de bouger lorsqu’ils sont «interpellés» par la lumière ou le son du flash.

Interaction et environnement

«Je m’intéresse à l’environnement, mais pas au sens écologique du terme. Je m’intéresse plutôt à l’interaction entre les gens et leur environnement, sonore, social, et au quotidien dans lequel ils évoluent», explique Ying Gao.

En 2009, la jeune femme née en Chine figure au top 40 des designers à surveiller de l’illustre magazine britannique Wallpaper. Ses sources d’inspiration : les cinéastes Jean-Pierre et Luc Dardenne, Jacques Tati et Bruno Dumont, des artistes qui «ont une vision du monde toute personnelle.» Elle voue aussi une grande admiration au designer de mode japonais Issey Miyake. «Il a prouvé que la science et les technologies pouvaient apporter quelque chose à la mode. Miyake a toujours su être à l’avant-garde tout en étant partie prenante de l’industrie de la mode.»

Après avoir lu les résultats d’un sondage en ligne qui présentaient les internautes comme étant indifférents aux questions sociales et politiques, la designer compile les données et les analyse à l’aide d’un logiciel mathématique. Les équations sont ensuite transposées sur des vêtements. Le résultat se traduit par une série de chemises pour hommes en organdi de coton, dont un élément de base est transformé (une manche coupée, l’angle d’un collet modifié, une poche rapetissée…), ce qui donne à chacune des pièces une allure atypique, déséquilibrée. Baptisée Indice de l’indifférence, la série de chemises témoigne, à sa manière, de l’insensibilité d’une société.

Une invitation au voyage

Grâce à la bourse Phyllis-Lambert Design Montréal, remportée en 2009, Ying Gao pousse encore plus loin ses recherches sur le vêtement modulable et ludique avec Berlin-Nagoya. La pièce de vêtement, conçue à partir du thème de la transformation des villes de Berlin et de Nagoya, deux villes UNESCO de design, est une invitation au voyage. Le vêtement devient, selon les envies et les besoins de l’usager, un foulard, une robe, un sac ou un écran pour une salle de projection improvisée. «Celui qui le porte en fait ce qu’il veut, se l’approprie au gré de ses humeurs et de ses activités», dit Ying Gao.

La designer travaille en ce moment sur deux projets. Le premier porte sur l’apparence sociale et publique dans Facebook et le deuxième aborde le thème de l’eau. «Je cherche à faire bouger de l’eau sur des vêtements», lance-t-elle énigmatique.

Ying Gao apprécie s’entourer d’étudiants et de jeunes créateurs comme le concepteur en design interactif Simon Laroche et Isabelle Campeau, récipiendaire cette année du 3e prix au concours de mode Télio pour les designers de la relève, et dont le projet Diploma : le salon, conçu en collaboration avec Maxime Harvey, a été présenté à la prestigieuse Biennale internationale de design de Saint-Étienne. «On ne doit jamais cesser d’expérimenter, même si on travaille au sein d’une industrie comme celle de la mode, qui impose un rythme effréné de production, des contraintes de rentabilité et de portabilité, exprime-t-elle. Il y aura toujours une place pour des pièces uniques et originales.»