La question du pluralisme soulève les passions au Québec et a récemment incité deux groupes d’intellectuels à confronter leurs idées dans des manifestes apportant deux visions contradictoires de la question. Une troisième voix tente maintenant de se faire entendre : celle du pluralisme à travers la mobilité culturelle. Le colloque Où va la culture?, qui rassemblera du 29 avril au 1er mai prochain à l’UQAM des intellectuels de diverses disciplines, abordera ce thème sous plusieurs angles – des nouveaux médias aux écrivains mobiles en passant par une table ronde sur la gastronomie montréalaise!
«Ce colloque éclectique fait le pari de l’originalité, affirme Simon Harel, professeur au Département d’études littéraires et co-organisateur de l’événement avec la doctorante Marie-Christine Lambert-Perreault. Le pluralisme et la diversité y seront abordés dans une perspective complètement différente de ce que l’on entend actuellement.»
Plusieurs acteurs culturels de renom participeront à ce colloque, notamment les auteures Ying Chen et Catherine Mavrikakis, le réalisateur Laurent Le Gall et l’artiste Masaki Fujihata.
Des récits émancipateurs
Simon Harel, récipiendaire du prestigieux prix Trudeau en 2009 pour sa contribution aux études littéraires et culturelles, étudie le pluralisme dans la littérature depuis le milieu des années 80. «À l’époque, personne ne parlait de pluralisme, souligne celui qui s’est également vu décerner le titre de membre de la Société royale du Canada l’an dernier. Dès le départ, les récits d’immigrants m’ont fasciné parce qu’ils impliquaient les mal pris, les laissés pour compte.» Ce n’est pas la première fois que les Québécois discutent de l’intégration des immigrants, rappelle le professeur. Les mêmes questions se sont posées à une autre époque par rapport aux immigrations italienne et haïtienne. «Les Haïtiens ont d’ailleurs subi une discrimination systématique à leur arrivée ici.»
En racontant leurs expériences de migration dans leurs écrits, les écrivains d’origine italienne – Marco Micone, Antonio D’Alfonso – et haïtienne ont favorisé l’émancipation de ces communautés, soutient Simon Harel. «Dany Laferrière, notamment, a effectué un travail littéraire et pédagogique remarquable en engageant les communautés et en suscitant le dialogue. Ses récits ont grandement favorisé l’intégration de la communauté haïtienne. Grâce à lui, les Haïtiens sont aujourd’hui plus québécois que les Québécois eux-mêmes!»
Le défi qui attend les Québécois en 2010, celui de réussir l’intégration des immigrants en provenance du monde arabe, est donc similaire à celui posé il y a 40 ans. «Il faut à tout prix favoriser l’émergence de la littérature, de la musique et du cinéma de culture arabo-québécoise, souligne-t-il. À l’école, nous devons systématiquement permettre aux jeunes d’entrer en contact avec les créateurs d’ici et d’ailleurs. Cela permettrait non seulement de favoriser une meilleure intégration, mais, qui sait, cela pourrait créer des destins d’écrivains…»
Simon Harel ne se gêne pas pour critiquer le débat qui oppose actuellement les tenants du manifeste Pour un Québec laïque et pluraliste à ceux du Manifeste pour un Québec pluraliste. «C’est un débat souvent opportuniste, aligné sur le discours des différents partis politiques, un exercice de lobbyisme intellectuel, tranche-t-il. Il est triste de voir les intellectuels abdiquer leur sens critique et devenir des stratèges dans un débat souvent réduit à une joute politique à courte vue.»
Il aimerait que les universités québécoises, particulièrement l’UQAM, jouent davantage leur rôle de lieu de rencontre entre les cultures. «L’UQAM ne devrait pas se contenter de prôner timidement une politique interculturelle; elle devrait l’incarner! Cela passe en premier lieu par une plus grande diversité culturelle au sein de l’institution, de l’administration au registrariat.»
Une majorité responsable
Après avoir étudié le pluralisme en littérature durant près de 30 ans, Simon Harel croit-il que le Québec puisse réussir à concilier le respect des différences et la préservation des valeurs communes? Les francophones ne se percevant plus comme des victimes des Canadiens anglais, comme c’était le cas avant la Révolution tranquille, ils doivent maintenant se comporter comme une majorité responsable, répond le professeur. «Nous avons la responsabilité d’accueillir et d’intégrer les immigrants non seulement à l’école, mais également dans la fonction publique, dans les médias et dans toutes les sphères de la société.»
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Colloque Où va la culture : http://www.er.uqam.ca/nobel/conflic/index.php?lang=fr&id=1