Dorval, c’est le patronyme de sa mère, Brunelle, celui de son père, tous deux de familles montréalaises déjà bien ancrées dans la métropole du 19e siècle. Dorval Brunelle aimerait écrire une histoire socioéconomique de Montréal au cours des années à venir, de même qu’analyser les fondements de l’inégalité des femmes au Québec, une idée qui lui est venue au moment de la tuerie de l’École Polytechnique. Les projets fourmillent chez ce pionnier de l’UQAM.
De la politique au journalisme
Avant de devenir professeur, Dorval Brunelle a flirté avec le monde politique et journalistique. Après son «bachot français» passé au Collège Stanislas, il entre en droit à l’Université de Montréal à 17 ans pour y faire sa licence, tout en suivant des cours d’espagnol et de russe, ce qui lui permet de décrocher une bourse d’études du gouvernement espagnol et de séjourner à Madrid. De retour en 1963, il s’inscrit au doctorat en droit, qu’il interrompt pour accepter une offre de Pierre Laporte, alors ministre des Affaires municipales à la recherche de jeunes diplômés «un peu frondeurs». Il est nommé secrétaire exécutif (ou chef de cabinet, comme on dirait aujourd’hui), poste qu’il occupera jusqu’à la défaite des Libéraux, en 1966.
L’année de l’Expo, Dorval Brunelle travaille pour Radio-Canada à une émission quotidienne intitulée Faire sa vie. «On faisait du Pierre Perreault à la radio, du documentaire saisi sur le vif. C’était des entrevues avec des travailleurs, des citoyens de partout au Québec qui se racontaient dans leur quotidien.» Puis, il se rend compléter son doctorat à Paris, où il profite de sa carte de presse pour faire d’autres entrevues à la pige pour Radio-Canada, avec des personnalités telles qu’Hélène Cixous, Alfred Sauvy ou Léo Ferré. Il a gardé de ces expériences avec le micro une «étonnante affection pour la radio». «Si j’avais une deuxième vie, je ferais de la radio !»
Un bouillonnement intellectuel
Durant ses études à l’École pratique des hautes études (Sorbonne) auprès de l’économiste marxiste Charles Bettelheim, il découvre un bouillonnement intellectuel incomparable à Paris, après les émeutes de 1968. «Bettelheim m’a appris à travailler, à faire de la recherche. C’était un homme extrêmement sérieux, mais aussi ouvert et accessible.» Recruté par Céline St-Pierre en même temps que Michel Freitag et Jorge Niosi, qui étudiait aussi avec Bettelheim, il entre à l’UQAM en 1970. Sa thèse, soutenue en 1973, porte sur le Code civil et les rapports de classe, mais sa «vraie» thèse, selon lui, c’est la Désillusion tranquille, un ouvrage paru en 1978 qui porte sur l’envers de la Révolution tranquille.
La politisation extrême de l’UQAM à ses débuts s’accompagnait d’une grande ouverture aux groupes sociaux. L’interface entre l’enseignement, la recherche et les services à la collectivité se faisait naturellement, précise le professeur. Le premier organisme avec lequel il a travaillé, le POPIR (comité de logement) de Saint-Henri, existe toujours, 40 ans plus tard. «La recherche terrain, ou action, m’a toujours habité», dit-il. Impliqué socialement, le professeur n’a jamais compté son temps, que ce soit pour la formation communautaire, des présentations dans les cégeps ou la rédaction d’articles grand public. Les travaux de Dorval Brunelle ont d’abord porté sur le Québec, mais son intérêt pour les dossiers du libre-échange, de l’ALENA et de la ZLEA (un accord réunissant les 35 pays des Amériques, moins Cuba, qui ne s’est jamais concrétisé) l’ont amené à élargir son champ de recherche et d’intervention. C’est ainsi qu’il a contribué à lancer le Réseau québécois sur l’intégration continentale et qu’il a travaillé à l’organisation des Sommets des peuples, en particulier le deuxième, tenu à Québec en avril 2001.
À cheval sur deux facultés
Professeur de sociologie, Dorval Brunelle s’est toujours intéressé au droit international et à l’économie politique. Co-fondateur, avec Christian Deblock, du Groupe de recherche sur l’intégration continentale (GRIC), directeur de l’Observatoire des Amériques (CEIM) et, depuis 2008, de l’Institut d’études internationales de Montréal (IEIM), il se reconnaît une double allégeance. Il apprécie d’ailleurs la grande fluidité interdisciplinaire qui existe à l’UQAM et qui permet «d’envahir des terrains et de les occuper comme on le souhaite».
Le cours qu’il enseigne (SOC4301-Sociétés actuelles et mondialisation), offert dans une dizaine de programmes de quatre facultés, aux trois trimestres, est toujours archi plein. «J’adore enseigner», confie-t-il. Donnant en exemple le Forum social mondial, dont la première édition eut lieu en 2001, pour montrer comment son domaine de connaissance a évolué en moins d’une décennie, il précise : «Le sujet a littéralement explosé. Il serait impossible aujourd’hui de faire le tour de la littérature sur le sujet, car il faudrait chercher dans plusieurs autres langues, en plus de l’anglais, de l’espagnol, du brésilien et du hindi. Le phénomène est mondial.»
Après 11 livres publiés en solo et 5 en collectif, ce boulimique de l’analyse prévoit en publier deux autres cette année, l’un sur la gouvernance, l’autre sur le Sommet de Québec et les forums sociaux. «Le moment le plus gratifiant de la recherche, c’est quand on est dans un isolement complet avec sa matière, qu’on se laisse prendre par le sujet, qu’on trouve le filon et qu’on se met à écrire.» Dorval Brunelle semble animé du feu sacré comme au premier jour.