Analyser des dessins animés dans un cadre universitaire? Pourquoi pas! Sept épisodes tirés des séries The Simpsons, Family Guy, American Dad et South Park ont été scrutés à la loupe par Frédérick Gagnon, professeur au Département de science politique et directeur de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques, et Julie Dufort, doctorante en science politique et chercheuse à l’Observatoire.
Les dessins animés sont plus que des objets de divertissement, affirment les deux chercheurs. «Ils véhiculent des messages politiques, ce sont donc des acteurs à part entière sur la scène sociale et politique américaine, au même titre que les membres du congrès, les leaders de groupes d’intérêt, les journalistes ou les commentateurs politiques», souligne Julie Dufort.
À titre comparatif, la très sérieuse émission d’affaires publiques Meet the Press est vue par environ quatre millions de téléspectateurs, tandis que les Simpsons en attirent environ dix millions chaque semaine. «Les dessins animés peuvent influencer indirectement les Américains sur certains enjeux, poursuit Frédérick Gagnon, spécialiste des représentations de la politique américaine dans la culture populaire. Et lorsque les opinions changent à propos d’un enjeu, on peut s’attendre à ce que les politiques changent par la suite.»
L’immigration illégale
Sous la direction du professeur Gagnon, Julie Dufort s’est penchée dans le cadre de sa maîtrise sur l’immigration non documentée (i.e. illégale) aux États-Unis, et plus spécifiquement sur l’érection du mur à la frontière américano-mexicaine. «C’est un sujet qui fait couler beaucoup d’encre aux États-Unis depuis plusieurs années, explique-t-elle. Il y a environ 12 millions d’immigrants illégaux dans le pays. En 2006, le Congrès américain a adopté le Secure Fence Act, un projet de loi autorisant la construction d’un mur de plus de 1 200 km sur la frontière américano-mexicaine. Aujourd’hui environ 80 % des 1 200 km sont construits.»
C’est en regardant l’épisode qui célébrait les 20 ans d’existence des Simpsons – lequel traitait de la construction d’un mur séparant les habitants de Springfield de ceux d’Ogdenville, métaphore des 20 ans de la chute du Mur de Berlin et de l’érection du mur à la frontière américano-mexicaine – que l’idée d’analyser les dessins animés a surgi. «C’était un à-côté ludique dans le cadre de ma maîtrise, mais nous avons néanmoins effectué l’analyse rigoureusement», précise la jeune chercheuse.
Diversité et biais progressiste
Les deux chercheurs ont d’abord voulu vérifier si les dessins animés étudiés reflétaient la diversité des opinions sur les politiques d’immigration au sein de la société américaine. Pour ce faire, ils ont pris appui sur les quatre courants de pensée identifiés par Daniel Tichenor, professeur à l’Université de l’Oregon et spécialiste de l’immigration illégale, à savoir : la position cosmopolite (la plus progressiste, car ses partisans sont en faveur à la fois de l’admission des étrangers et de l’augmentation de leurs droits sur le territoire américain), la position restrictionniste classique (la plus conservatrice, car ses partisans souhaitent restreindre l’admission et les droits des étrangers), la position expansionniste de libre-marché (admission selon l’offre et la demande du marché de l’emploi, mais restriction des droits) et la position nationaliste égalitariste (admission restreinte, mais octroi de plus de droits aux immigrants déjà sur le territoire).
Dans chacune des séries, les créateurs confient à certains personnages l’odieux ou le plaisir de véhiculer des idées liées à ces quatre courants de pensée, ont constaté les deux chercheurs. Les personnages les plus intelligents, comme Lisa Simpson ou comme Bryan, le chien de Family Guy, sont progressistes, tandis que ceux qui véhiculent les positions les plus conservatrices sont souvent ceux qui sont dépeints comme étant moins intelligents. «Même s’il y a une diversité de points de vue, pratiquement tous les personnages finissent par adopter la position cosmopolite à mesure que les épisodes progressent, souligne Julie Dufort. Ce n’est pas très surprenant, car les créateurs de ces séries sont souvent très à gauche. Ils incitent les téléspectateurs à adhérer à la position cosmopolite en dévalorisant les autres positions.»
«C’est le genre de recherche qui enrichit le contenu de mes cours sur la politique américaine, conclut Frédérick Gagnon, qui n’hésite pas à recourir à des exemples tirés de dessins animés, de séries télévisées, de films ou de jeux vidéos pour expliquer des notions théoriques. C’est apprécié des étudiants, car ils saisissent rapidement les comparaisons.»