Voir plus
Voir moins

Les Atikamekws s’accrochent à la vie

Par Dominique Forget

11 janvier 2010 à 0 h 01

Mis à jour le 17 avril 2015 à 15 h 04

Tous les moyens sont bons pour sauver un ado au bord du suicide. Y compris le conduire dans une forêt enneigée et lui apprendre à survivre en tendant des pièges pour capturer son repas du soir. À Manawan, une communauté atikamekw installée à 120 kilomètres à l’ouest de La Tuque, ce genre d’intervention «à la dure» a fait ses preuves. Alain Janelle, étudiant au doctorat en psychologie, a vu des jeunes se transformer littéralement au cours des semaines qu’il a passées avec eux dans le bois. «L’idée du camp en forêt, c’est de redonner aux jeunes autochtones un sentiment d’autonomie et de fierté malheureusement absent chez plusieurs d’entre eux», explique l’étudiant.

Dans les communautés autochtones du Canada, le taux de suicide chez les 15-24 ans est cinq fois plus élevé que la moyenne nationale. L’absence de lieux de loisirs et de débouchés d’emploi sape le moral. Les problèmes d’alcoolisme, de toxicomanie et de violence semblent parfois insurmontables. Et Manawan ne fait pas exception. Il y a deux ans, pendant le seul mois de décembre, quatre jeunes hommes de cette communauté de 1 700 habitants se sont enlevé la vie.

Du Tibet à Manawan

Alain Janelle a toujours été attiré par la découverte de l’«autre». «J’ai vécu plusieurs mois dans le nord de l’Inde et au Népal», raconte-t-il. Il a appris la langue tibétaine, s’est intéressé aux traditions de ce peuple et à la préservation de sa culture. «Quand je suis rentré au Québec, j’ai réalisé qu’il y avait ici des peuples fascinants dont je ne connaissais à peu près rien. À quelques heures de chez moi! Des communautés qui n’étaient pas nécessairement menacées par les mêmes pressions que celles qui s’exercent sur les Tibétains, mais menacées tout de même.»

C’est à cette époque que l’étudiant rencontre Michel Tousignant, professeur au Département de psychologie et spécialiste en prévention du suicide. Le professeur lui parle d’Ulric Ottawa, un intervenant de Manawan qui veut s’attaquer au problème du suicide chez les jeunes de sa communauté. «Ulric avait déjà commencé à amener des adolescents en forêt, explique Alain Janelle. Ce n’était pas mon idée, mais la sienne. L’époque où l’Homme blanc arrivait avec ses gros sabots pour imposer son programme d’intervention aux Premières Nations est terminée.»

Alain Janelle a accepté d’épauler Ulric Ottawa, d’abord pour structurer son programme et aller cogner aux portes des organismes subventionnaires. Il a fallu beaucoup d’énergie et de persévérance, mais les deux complices ont fini par décrocher, en 2007, une subvention de 40 000 $ auprès de Santé Canada. D’autres bailleurs de fonds ont suivi. L’équipe a finalement amassé 200 000 $, suffisamment pour démarrer formellement le projet et embaucher des intervenants.

À ce jour, une cinquantaine de jeunes, presque tous des garçons, ont accepté de suivre Ulric en forêt.

Une goutte d’eau

L’étudiant en psychologie a séjourné au camp à deux reprises, durant quelques semaines, pour évaluer les retombées du programme. «Au début, le contact avec les jeunes était très difficile, raconte-t-il. Ils ont voulu me tester à plusieurs reprises. Par exemple, ils ont placé une canette dans un arbre et m’ont défié de l’atteindre, en me plantant une carabine dans les mains. Heureusement, j’ai profité de la chance du débutant et je l’ai atteinte du premier coup. Après, je faisais partie de la gang.»

Alain Janelle a participé à la chasse, à la trappe, à la coupe du bois de chauffage et à la cuisine. Le soir, il discutait à bâtons rompus avec les jeunes, pour savoir ce qui les avait allumés au cours de la journée. On racontait aussi des contes traditionnels autour du feu. «Les jeunes apprennent à valoriser l’histoire et les traditions de leurs ancêtres. L’idée n’est pas de les inciter à adopter le mode de vie traditionnel. Mais en sachant d’où ils viennent, en étant fiers, ils sont plus susceptibles de raccrocher, de vouloir contribuer à leur communauté, que ce soit en devenant plombier ou avocat.»

Plusieurs parents ont du mal à reconnaître leur enfant quand il revient du camp. Il s’implique plus à la maison, parle de projets d’avenir. «Évidemment, c’est une goutte d’eau, dit Alain Janelle. Un projet comme celui-ci ne peut sauver à lui seul la communauté. Mais si plusieurs personnes font leur part pour revaloriser les jeunes, il va y avoir d’autres gouttes d’eau, et il va finir par pleuvoir.»

Alain Janelle poursuit maintenant son doctorat auprès d’adolescents hospitalisés à Montréal, à la suite de tentatives de suicide répétées. «Je veux devenir psychologue clinicien, dit-il. Une fois mon diplôme en poche, je n’exclus pas de retourner dans les communautés autochtones.»