Voir plus
Voir moins

Finies, les menstruations?

Par Marie-Claude Bourdon

8 mars 2010 à 0 h 03

Mis à jour le 17 avril 2015 à 15 h 04

Cesser d’avoir ses règles tous les mois? Rien de plus facile. Il suffit de prendre un contraceptif actif tous les jours, plutôt que 21 jours par cycle. «La possibilité de supprimer les menstruations existe depuis l’apparition de la première pilule contraceptive dans les années 50», affirme la doctorante en sociologie Mélissa Nader, qui s’est penchée sur ce phénomène dans le cadre de sa maîtrise. «À l’époque, on avait même envisagé de donner la pilule en continu. Mais la contraception en soi représentait une telle révolution que l’on a préféré ne pas faire disparaître les règles du même coup. La version de la pilule qui a été commercialisée comprenait donc une semaine sans hormones.»

De tout temps, pour des athlètes ou dans des cas particuliers, les médecins ont prescrit la pilule en continu afin de provoquer l’arrêt des menstruations, précise la chercheuse. Mais la pratique restait confidentielle. Aujourd’hui, de plus en plus de médecins proposent à leurs patientes de dire adieu à leurs règles. Un nouvel anticonceptionnel, le Seasonale (84 pilules actives suivies de sept inactives) permet de réduire les périodes menstruelles à quatre par année. D’autres formules, comme les injections de Depo-Provera, conçues pour éviter les oublis, ont pour effet secondaire d’éliminer complètement les menstruations en maintenant constant le niveau d’hormones.

De fausses règles

Au cours d’un cycle naturel, c’est l’absence de fécondation qui enclenche les règles. Quand une femme prend un contraceptif hormonal, les menstruations sont déclenchées artificiellement par une baisse du taux d’hormones dans le corps. «On dit que ce ne sont pas de vraies règles et qu’on peut donc les supprimer sans problème», note Mélissa Nader.

La suppression des menstruations est proposée dans une logique de liberté et de performance. «On entend tout un discours selon lequel les femmes d’aujourd’hui travaillent et n’ont plus le temps d’avoir leurs règles», observe la chercheuse.

Le sujet est apparu dans la littérature scientifique – et dans les revues féminines – depuis une dizaine d’années, après la publication d’un livre, Is Menstruation Obsolete? (Les menstruations sont-elles désuètes?) du gynécologue Elsimar Couthino. L’auteur, qui est aussi l’inventeur du Depo-Provera, prône la suppression hormonale des menstruations de l’adolescence jusqu’à la ménopause. Son argument? Les femmes ont leurs règles beaucoup plus souvent qu’auparavant, entre autres parce qu’elles commencent à avoir leurs menstruations plus tôt dans la vie et parce qu’elles font moins d’enfants. Or, le corps des femmes ne serait pas conçu pour avoir autant de menstruations à répétition. «Selon ce discours, les menstruations sont devenues une sorte d’anomalie dans la vie des femmes, dit Mélissa Nader. Non seulement la suppression des règles n’aurait pas d’effets négatifs sur leur santé, mais elle permettrait, dans une logique de prévention, de soulager des conditions comme la migraine, l’arthrite ou l’endométriose.»

Un marqueur symbolique

«Du côté des féministes, des centres de santé des femmes ou du milieu des médecines alternatives, la suppression des menstruations suscite beaucoup moins d’enthousiasme, mentionne la chercheuse. On souligne qu’il n’y a pas eu d’études sur les effets à long terme de la prise de contraceptifs en continu. On s’interroge aussi sur les conséquences d’une pratique qui a pour but d’éliminer un marqueur symbolique important de la féminité.»

La suppression des menstruations s’inscrit dans une dynamique plus large, celle de la médicalisation de la santé, un sujet auquel Mélissa Nader consacre ses recherches de doctorat. «La médicalisation n’est pas seulement l’œuvre de méchantes compagnies pharmaceutiques qui inventent des maladies pour vendre des médicaments, souligne la chercheuse. La logique économique existe, mais elle doit rencontrer un terreau fertile. Dans le cas de la suppression des menstruations, on voit que d’autres logiques sont à l’œuvre, comme celles de la prévention ou de l’efficacité. C’est parce que l’élimination des règles est vue comme une solution moderne aux conditions de vie des femmes modernes que des femmes acceptent de prendre une pilule par jour tous les jours.»