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Aux sources du langage

Par Marie-Claude Bourdon

17 mai 2010 à 0 h 05

Mis à jour le 17 avril 2015 à 15 h 04

Qu’est-ce qui fait que le langage humain est unique? Comment a-t-il évolué? Quels sont les liens entre la faculté de parler et le développement cognitif de nos ancêtres hominidés? Quels sont les débats entourant les origines du langage? Ces questions passionnantes seront abordées lors de deux événements d’envergure internationale qui se tiendront prochainement à l’UQAM. Du 27 au 29 mai aura lieu la deuxième rencontre du Réseau international de biolinguistique fondé par Anne-Marie Di Sciullo, professeure au Département de linguistique. Un mois plus tard, du 21 au 30 juin, l’Institut des sciences cognitives consacrera son Institut d’été, organisé par Claire Lefebvre, professeure au même département, au thème de L’origine du langage.

«Si le département de linguistique reçoit de grosses subventions, c’est parce que la recherche en linguistique est très forte à l’UQAM», souligne Claire Lefebvre pour expliquer la tenue, coup sur coup, de deux événements aussi importants sur le langage. Au mois de juin, l’Institut d’été accueillera à l’UQAM plus de 150 étudiants et une quarantaine de professeurs de plusieurs pays, parmi les spécialistes les plus prestigieux des différentes disciplines qui s’intéressent au langage. «La question de l’origine du langage compte énormément d’inconnues, mais elle est passionnante, dit Claire Lefebvre. Comment sommes-nous passés, dans l’évolution, d’une étape où il n’y a pas de langage à une étape où il y a du langage et qu’est-ce que cela implique?» C’est une question complexe qui fait intervenir de nombreux champs de recherche, poursuit-elle en soulignant la participation à l’Institut d’été de paléontologues, d’anthropologues, de biologistes, de linguistes, de psychologues, d’historiens, de philosophes, et même d’informaticiens.

De nombreux débats

La question de l’origine du langage suscite de nombreux débats, qui trouveront naturellement leur place dans les conférences de l’Institut d’été. On s’interrogera entre autres sur ce que le langage des enfants de moins de deux ans ou des aphasiques peut nous apprendre sur les débuts du langage. De même, on s’intéressera à l’apport des études menées sur le langage des grands singes. De son côté, Claire Lefebvre prononcera une conférence sur la pertinence des pidgins (langues constituées d’un mélange de termes appartenant à différentes langues maternelles et utilisées notamment pour le commerce) et des créoles dans le débat sur les origines du langage. «Certains disent que les pidgins, en raison de leur apparente simplicité, peuvent nous aider à comprendre le passage du proto-langage au langage, explique la linguiste. Selon moi, cette proposition n’a pas d’assises empiriques. D’abord, les pidgins sont très complexes. Ensuite, contrairement au proto-langage, le pidgin ne part pas de rien. Il se forme à partir des langues de ses locuteurs.»

Un autre débat concerne l’évolution du langage. «À partir du moment où le langage apparaît, est-ce qu’il se développe très rapidement ou est-ce qu’il connaît une lente évolution? Les experts ne s’entendent pas», dit Claire Lefebvre. Quels sont les déterminants anatomiques du langage, comment a évolué le cerveau et quels sont les liens entre l’évolution de la culture matérielle (les outils, les objets) et celle du langage? Quelle est l’origine du sens, que faut-il penser de la théorie du langage gestuel, comment les philosophes du 18e siècle concevaient-ils l’origine du langage? À peu près toutes les questions qui se posent sur le langage, son apparition et son évolution seront abordées au cours des 10 jours de l’Institut d’été.

Des cours crédités

Les étudiants qui participeront à l’Institut auront non seulement la chance d’entendre les spécialistes les plus réputés dans leur domaine, mais ils pourront également se voir créditer les cours suivis. Comme il faut offrir à chacun de ces étudiants l’encadrement nécessaire, et en raison du nombre de disciplines au programme, l’organisation de l’événement est colossale. Surtout que de nombreux professeurs et étudiants en profitent pour venir passer quelques jours à Montréal avec leur famille et qu’il faut occuper tout ce beau monde. Heureusement, ce ne sont pas les activités qui manquent dans la métropole à la fin juin!

Biologie et linguistique

La deuxième conférence du Réseau international de biolinguistique, qui aura lieu quelques semaines plus tôt sous le titre The Language Design, est un rendez-vous pour les experts qui ont fait avancer ce champ de recherche se situant à l’intersection de la biologie et de la linguistique. «Cet événement vise à pousser plus loin notre connaissance des éléments constitutifs du langage», explique son organisatrice, Anne-Marie Di Sciullo. Les chercheurs du Réseau s’intéressent en effet aux bases biologiques du langage, donc à ses éléments génétiques, mais aussi à la contribution de l’environnement et à la complexité du langage. «Nous allons nous interroger, entre autres, sur les propriétés biologiques qui nous permettent de traiter une structure syntaxique et d’associer une interprétation à cette structure», explique la linguiste.

Selon la biolinguistique, le langage n’origine pas du contexte social, mais de propriétés génétiques propres aux humains. «Il existe des oiseaux et des singes qui vivent dans le même environnement que les humains, mais les façons de communiquer de ces différentes espèces ne partagent pas les propriétés du langage humain, précise Anne-Marie Di Sciullo. Il ne suffit donc pas d’être exposé au langage pour parler le langage humain.»

Les primates comme les chimpanzés sont capables d’apprendre des grammaires de bas niveau, qui permettent de générer des suites de sons, mais sont incapables d’apprendre des grammaires qui génèrent des structures hiérarchiques. «Les êtres humains ont cette capacité de développer des grammaires où on peut identifier des constituants syntaxiques qui ont une unité de sens. La notion de mot ne se retrouve pas chez les autres espèces animales.»

Symétrie et asymétrie

Quelles sont les propriétés qui font la spécificité du langage humain? Des conférenciers se pencheront notamment sur les questions de symétrie et d’asymétrie du langage, un champ de recherche qui est la spécialité d’Anne-Marie Di Sciullo. «C’est une notion centrale, dit la linguiste, qui permet de faire des liens entre la biologie, la physique et la linguistique et de comprendre le langage comme objet du monde naturel, quelle que soit la société où il est utilisé.»

Différents phénomènes lient la biologie et le langage, explique-t-elle. Ainsi, on peut montrer que l’évolution de la forme des corps tend vers l’asymétrie (c’est pourquoi nous avons le cœur à gauche, par exemple, et non une moitié à droite et une moitié à gauche), tout comme celle du langage : c’est ce qui explique que, la plupart du temps, on ne peut inverser les constituants d’un mot ou d’une phrase sans en changer le sens.

Les conférenciers s’intéresseront à l’acquisition du langage. «Pour Piaget, l’esprit de l’enfant était vierge par rapport au langage, dit la linguiste. Du point de vue biolinguistique, l’enfant essaie de comprendre le système du langage parce qu’il a la capacité innée d’assembler les pièces du puzzle.»

Les études présentées dans le cadre de la conférence aborderont également la détérioration du langage chez les personnes âgées, ainsi que chez les patients atteints de la maladie d’Alzheimer et de Parkinson. D’autres se pencheront plutôt sur les dialectes des oiseaux et sur la façon dont ceux-ci sont transmis à l’intérieur de sous-espèces particulières. «La recherche en biolinguistique nécessite la contribution de chercheurs d’horizons variés, que ce soit la biologie, la physique, la chimie ou la linguistique», souligne la chercheuse, qui prépare un ouvrage regroupant tous ces aspects, The Biolinguistic Enterprise, à paraître cet automne chez Oxford University Press.