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La pub dans tous ses états

Par Marie-Claude Bourdon

15 avril 2010 à 9 h 04

Mis à jour le 28 août 2018 à 11 h 08

«La pub fait partie de la culture», affirme Simon Beaudry (B.A. design graphique, 00), directeur artistique chez Bos, l’agence responsable de la campagne de la Sloche pour Alimentation Couche-Tard. Pour ceux qui ne la connaîtraient pas, c’est la campagne qui a fait un tabac auprès des adolescents (et semé la controverse dans certains milieux) en proposant la Sloche au Rosebeef, la Lipposuccion et la Poussin frappé… La dernière publicité de la série, inspirée de films populaires auprès des jeunes et de leur violence de bande dessinée, montre un clown qu’on éviscère pour le transformer en jus de clown, la nouvelle Sloche 10e anniversaire. Avec Internet comme principal point d’ancrage, cette pub comporte un volet interactif : l’adolescent peut participer au recollage des morceaux de clown!

De la culture? Martin Beauvais (B.A. design graphique, 94), directeur de la création chez Zig, une agence en vue de Toronto, en est convaincu. «Une pub réussie s’intègre tellement bien à la culture populaire que les gens la regardent sans souffrir de se voir imposer une publicité, dit-il. C’est toujours ce que j’ai essayé de faire dans mon métier : que la pub fasse plaisir au lieu d’être détestée.»

Martin Beauvais, c’est le gars derrière la fameuse campagne Jamais sans mon lait, qui a remis à la mode plusieurs grands succès de la chanson française alors qu’il travaillait pour l’agence BBDO à Montréal. «Après trois ans de campagne, C’est la vie, un ancien tube d’Adamo utilisé pour la bande sonore de l’une des publicités, était passé au palmarès des 10 chansons les plus populaires chez HMW, raconte le publicitaire. C’est d’ailleurs ce qui nous a donné l’idée de lancer L’Album blanc.» Le rêve de tout annonceur : plus de 200 000 personnes ont acheté le CD de chansons qui rappelaient la pub sur le lait. Dans les ascenseurs, les gens se sont mis à fredonner Adamo et les radios reprenaient Pour un flirt, de Michel Delpech.

L’univers de la marque

«Une bonne campagne crée un univers autour d’une marque», soutient Martin Beauvais. Selon lui, la publicité ne peut plus se contenter d’être racoleuse. «Les gens de ma génération sont beaucoup plus sceptiques à l’égard de la publicité et beaucoup plus rapides à zapper, dit-il. Mais si la pub leur offre quelque chose d’intéressant, ils vont eux-mêmes aller la chercher. En fréquentant, par exemple, les sites Internet des marques auxquels ils s’identifient, comme Adidas, Apple ou Diesel.»

Chargé de projet chez Marketel, une agence montréalaise bien établie, Simon Saint-Germain (B.A.A., 06) croit lui aussi à l’importance de l’univers culturel associé à la marque. «Les produits que nous vendons sont souvent indifférenciés, souligne-t-il. Les consommateurs se rendent bien compte que tous les téléphones cellulaires offrent à peu près les mêmes caractéristiques. Ce qui fait la différence entre Rogers, Telus ou Bell, c’est l’attachement que nous réussissons à créer pour la marque.»

Le Web incontournable

Le Web, encore marginal dans le secteur de la stratégie publicitaire il y a cinq ans, est devenu incontournable et contribue à faire évoluer la relation entre la marque et le consommateur. «Avec Facebook, Twitter, MySpace et autres réseaux sociaux, le publicitaire n’est plus seul à parler au consommateur : ce dernier a aussi son mot à dire», souligne Simon Saint-Germain.

À travers les médias sociaux, un bon coup publicitaire peut être répercuté en un temps record sur des millions d’écrans partout au pays. Mais le contraire est aussi vrai. Une petite erreur peut causer des torts sérieux à la vitesse de l’éclair. Aux États-Unis, une publicité vidéo de l’analgésique Motrin relayée par les médias sociaux a été retirée en catastrophe au bout de trois jours. La vidéo, qui abordait de façon humoristique les douleurs musculaires associées à la nouvelle habitude de porter les bébés en écharpe, a choqué des milliers de mères, qui se sont empressées de manifester leur indignation sur le Net. Cette mode, devenue partie intégrante de la culture de la nouvelle maman, ne souffrait pas d’être ridiculisée!

«Tout le monde n’est pas sur Twitter, concède Simon Saint-Germain, mais deux millions de Québécois sont sur Facebook. Et les utilisateurs de médias sociaux déteignent sur la population en général. Cela change inévitablement notre façon de travailler.»

Quand la pub sur Internet a commencé, les agences de publicité traditionnelles s’occupaient des volets télé, radio et affichage des campagnes publicitaires qui leur étaient confiées, alors que des agences spécialisées étaient recrutées pour le volet nouveaux médias. Avec la popularité croissante du Web, la plupart des agences traditionnelles ont acheté une boîte spécialisée ou créé leur propre service consacré aux nouveaux médias. «Aujourd’hui, les stratégies publicitaires ont de plus en plus tendance à intégrer tous les supports dès le départ», observe le publicitaire.

Prix de la Relève Média en 2009 et stratège médias chez Bleu Blanc Rouge, une jeune agence montréalaise qui a le vent dans les voiles, Anne-Marie Buchanan (B.A. communication, 02), 29 ans, ne conçoit pas d’autre façon de fonctionner. «Les premières questions que l’on se pose avant de lancer une campagne sont : À qui on s’adresse? On va annoncer où, quand, sur quel support? Cette personne à qui l’on s’adresse, on va la joindre dans son auto, le matin à la télé pendant qu’elle regarde les nouvelles, ou sur Internet?»

Un des gros succès d’Anne-Marie Buchanan a été une campagne pour la Banque Laurentienne misant essentiellement sur la radio et le Web. Une série de capsules d’information sur les produits hypothécaires de la Banque, diffusées à la radio le dimanche après-midi, à l’heure où les acheteurs d’une première maison sont tous dans leur voiture en quête de la résidence de leurs rêves, a généré une augmentation de 600 % du nombre de visites sur le site Web de l’entreprise. La campagne a tellement bien fonctionné que la Banque, qui accusait un retard à ce chapitre, a enregistré un sommet historique de ses ventes d’hypothèques!

Une autre des réussites de la publicitaire, c’est la campagne qu’elle a conçue pour la Ville de Montréal et qui visait à freiner l’exode des jeunes ménages vers la banlieue. «La campagne comportait un important volet Web parce que les gens qui magasinent des maisons vont d’abord sur Internet pour s’informer.» Grâce à un outil informatique extrêmement sophistiqué, les futurs acheteurs de maisons de banlieue étaient interceptés lors de leurs recherches sur Internet et ceux qui acceptaient étaient redirigés vers une sélection de résidences répondant à leurs critères sur le territoire de Montréal. Grâce à cette campagne, 800 000 internautes ont accepté de reconsidérer leur choix initial de lieu de résidence.

«Les gens sont de plus en plus débrouillards pour aller chercher de l’information par eux-mêmes et éviter la pub, dit Anne-Marie Buchanan. Il faut se demander comment les joindre en restant centré sur leurs besoins et en s’adressant à eux avec intelligence.» Pour elle, tous les médias, y compris la bonne vieille radio, peuvent faire partie d’une stratégie publicitaire efficace : «Il s’agit de savoir choisir lesquels et de les faire travailler ensemble.»

Chaque personne est un média

Dans une stratégie publicitaire bien orchestrée, chaque média doit jouer son rôle pour renforcer l’effet des autres. «Parfois, c’est le bouche à oreille qui devient l’outil publicitaire le plus efficace, note Anne-Marie Buchanan. D’où l’importance, pour une campagne sociétale visant, par exemple, à changer des comportements, de choisir les bons leaders d’opinion, ceux qui influencent les autres.»

À l’ère d’Internet, chaque personne est un média. «Le marketing viral, qui consiste à faire de la publicité un virus qui se propage par lui-même, n’est pas apparu avec les réseaux sociaux sur Internet, souligne Benoit Cordelier, professeur au Département de communication sociale et publique. Les réseaux d’influence ont toujours existé.» On n’a pas attendu non plus la venue d’Internet pour miser sur le sentiment d’appartenance des consommateurs à une marque. Mais Internet réactive ces idées. «Aujourd’hui, ce qui prime, ce n’est pas d’afficher un prix ou les caractéristiques d’un produit, dit le professeur, mais de créer des relations, d’amener des gens qui ont une passion en commun pour un produit à participer à la création d’une histoire autour d’une marque.»

Hélène Godin (B.A. design graphique, 89), directrice de la création chez Sid Lee, a travaillé à la récente campagne de repositionnement de la Société de transport de Montréal (STM). Objectif : redorer le blason de l’entreprise, trop souvent associée à ses pannes et à ses retards. «Notre mandat était de changer l’image corporative de la STM pour mettre de l’avant sa vision du développement durable, explique la designer. Il fallait établir dans la tête des gens que prendre le transport collectif, c’est faire un geste pour l’environnement.»

Un nouvel environnement visuel a été créé, dont une signature graphique où le bleu traditionnel de la STM s’allie au jaune, plus chaleureux, pour donner le vert, symbole de l’environnement. Une vidéo d’animation utilisant les mêmes éléments graphiques – signée Karim Charlebois-Zariffa (B.A. design graphique, 10), alors stagiaire chez Sid Lee – a été produite pour être diffusée sur le site Web de l’entreprise et dans les cinémas. De nouveaux messages publicitaires ont été conçus, dont : «Un bus, 50 autos de moins sur la route». Sans compter les autres éléments de la campagne : une casquette, un t-shirt et un macaron aux nouvelles couleurs de l’entreprise, qui se veut non plus seulement un réseau de transport, mais un «mouvement collectif», une cause qui unit les citoyens. «C’est extraordinaire quand on peut contribuer à un changement de perception et même à un changement de mode de vie», dit Hélène Godin.

Un environnement design

Chez Sid Lee depuis 11 ans après plusieurs années chez Graphème, une filiale de Cossette, la directrice de création est un phénomène de durabilité dans cette industrie où la moyenne d’âge semble se situer quelque part dans la jeune trentaine et où l’on se promène allègrement d’une boîte à l’autre. Créatifs, curieux, passionnés, les publicitaires sont de ceux, et ce n’est pas qu’un cliché, qui passent la nuit au bureau avant un «pitch». Heureusement pour eux, le bureau est toujours un endroit magnifique, très design et offrant des vues superbes sur la ville. Il y a presque toujours un bar, avec machine à café, jus et collations disponibles en tout temps. Les publicitaires aiment travailler en équipe, car c’est du mélange des idées que sortira le concept gagnant : «On construit vraiment notre stratégie sur un tableau, dit Hélène Godin. Chacun, selon ses propres talents, peut apporter un élément, le petit détail qui va permettre à la marque de s’exprimer avec cohérence.»

C’est dans un cours de la professeure Judith Poirier, à l’École de design de l’UQAM, que Simon Beaudry a eu la piqûre pour la pub. Il aimait le travail de conceptualisation, auquel le cours accordait une grande importance, autant que la fabrication de la publicité. «À l’époque, j’avais la naïveté de croire que tout ce que je ferais serait de l’art», dit en souriant celui qui est sorti de l’École avec la bourse Diesel (la bourse donnée chaque année à un finissant de l’UQAM par l’agence Sid Lee, qui au départ s’appelait Diesel). Chez Bos, le directeur artistique a été l’un des instigateurs de la bourse Yves-Simard, du nom de l’un des fondateurs de la boîte, qui permet à un finissant en design de faire ses premières armes chez Bos lors d’un stage rémunéré de trois mois.

Simon Beaudry ne fait pas toujours de l’art avec un grand A. Mais, insiste-t-il, la publicité fait partie du paysage culturel. «On peut passer devant un panneau sans le regarder, comme on peut zapper une publicité à la télé. Mais devant une bonne pub, les gens s’arrêtent et regardent», observe le publicitaire. Pas si simple, toutefois, de dire ce qui fait une bonne pub. Car Internet ne change rien au principe de départ : une pub, cela sert à communiquer un message, à créer un buzz. Autrement dit, il faut que les gens en parlent. Ce buzz, on l’obtient généralement grâce à un ingrédient essentiel, l’originalité. «Et ce qui aide, c’est d’avoir quelque chose de signifiant à communiquer, ajoute Simon Beaudry. Dans la pub sur la Sloche Lipposuccion, au-delà de l’aspect grotesque, il y a un message critique sur l’esthétisme à outrance. C’est un commentaire sur notre culture, sur notre culte de la jeunesse et de la perfection corporelle.»

Source:
INTER, magazine de l’Université du Québec à Montréal, Vol. 08, no 1, printemps 2010.