L’intérêt de Jean Revez pour l’égyptologie remonte à l’époque où, adolescent, il dévorait Les aventures de Blake et Mortimer et tentait avec cet aventurier de bandes dessinées de percer le secret qui entourait la Chambre d’Horus et son fabuleux trésor. «J’étais en Secondaire I et je me souviens très bien que c’est Jean-Marie Balard, mon professeur d’histoire, qui m’a donné ce goût pour l’Égypte.» Son envoûtement sera confirmé lorsque sa mère lui fera découvrir l’exposition des Trésors de Toutankhamon, lors d’un séjour à Toronto, en 1979.
Aujourd’hui, près de 4 000 ans après le début de la construction des premiers temples en bordure du Nil, le professeur du Département d’histoire concentre toutes ses énergies sur les 134 gigantesques colonnes qui soutenaient le plus célèbre temple d’Égypte classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Depuis quelques années, Jean Revez s’attaque au relevé des inscriptions qu’au moins six pharaons du Nouvel Empire ont fait graver sur ces colonnades sur une période de 200 ans.
L’Antiquité pixellisée
Le Centre franco-égyptien d’étude des temples de Karnak se dédie depuis 1967 à l’étude et à la restauration du site. Malgré cela et en dépit du fait que cette salle hypostyle (dont le plafond est soutenu par des colonnes) est l’une des plus visitées par les touristes du monde entier, un relevé exhaustif des épigraphes n’y a jamais été entrepris. «La technologie pour faire ce type de travail n’existait pas. Les relevés manuels traditionnels ne permettaient pas de reproduire fidèlement ce qui est gravé sur des colonnes de 20 mètres de haut», explique l’égyptologue de 45 ans.
Au cours de la dernière décennie, par contre, la technologie a beaucoup évolué. En France, le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), de concert avec l’Institut national des sciences appliquées de Strasbourg et avec l’École nationale des sciences géographiques, est parvenu à développer une technique d’imagerie à plat. Cette technique a été testée avec succès sur l’une des colonnes du temple.
Depuis 2007, Jean Revez collabore avec la firme française ATM 3D qui «cartographie» avec exactitude l’ensemble des 134 piliers. «Grâce à cette nouvelle technologie, explique Revez, les colonnes de la salle ont été balayées d’un milliard de points. Cela permettra même d’obtenir les images en relief avec une précision de deux millimètres.» Plus de 4 000 images ont été ainsi enregistrées. Il aura fallu faire des acrobaties avec des échafaudages et quatre appareils photographiques géoréférencés et fixés sur des perches de huit mètres de haut. D’ici l’été, le déroulé des images de cette colossale forêt de papyrus en pierre sera enfin complété.
Percer les secrets pharaoniques
Jean Revez ne tient plus en place, d’autant plus qu’en 2008, l’Université de Memphis, qui détient le droit exclusif d’étudier le site, a confié à l’UQAM le soin de reproduire le relevé architectural et épigraphique des colonnes du temple à partir des images qui seront bientôt disponibles. «D’ici juillet, j’aurai la réponse définitive à notre demande de subvention de 40 000 $. Cela permettra, entre autres, aux étudiants de maîtrise de s’initier à la lecture d’hiéroglyphes et de publier un ouvrage qui contiendra le déroulé de l’ensemble des colonnes de la salle.» Ce projet d’une durée de deux ans permettra aussi à Jean Revez de déterminer si le remontage des colonnes entrepris par les archéologues du XIXe siècle a été fait correctement.
Mais aussi extraordinaires que puissent être ces nouvelles images 3D, rien ne remplacera jamais la sensation de se trouver sur place. «Les pharaons n’ont pas toujours fait tracer leurs épigraphes à la même profondeur dans la pierre. Il leur arrivait même de faire graver de nouvelles inscriptions par-dessus celles de leurs prédécesseurs. Pour percer ces secrets, il faut être là.» Pour étancher sa soif de compréhension, Jean Revez se rend donc chaque année effleurer du bout des doigts les échancrures et les inscriptions pharaoniques ciselées à l’apogée de la civilisation égyptienne antique, pour révéler leurs secrets.