Dans certains grands aéroports de la planète, finie la discrimination contre les pères! Au lieu des espaces réservés pour changer les couches dans la toilette des dames, on trouve maintenant des salles à langer «neutres», ouvertes aux mamans et aux papas. Un petit pas de plus dans la lutte pour l’égalité des sexes!
«Ce sont les féministes qui ont donné aux hommes la paternité telle qu’on la connaît aujourd’hui», affirme sans détour la professeure Francine Descarries, du Département de sociologie de l’UQAM. «La participation des femmes sur le marché du travail ainsi que leur revendication pour le partage des tâches dans la sphère domestique ont transformé les rôles parentaux», précise la sociologue, qui est également coordonnatrice de la recherche à l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF) et directrice de l’Alliance de recherche IREF/Relais-femmes.
Le mouvement féministe a mené à deux étapes clés dans l’éclatement de la famille patriarcale traditionnelle. En 1964, la loi 16 établissait l’égalité juridique des époux. En 1977, la notion de «puissance paternelle» était remplacée par celle «d’autorité parentale» dans le Code civil du Québec.
«Les hommes étaient relativement confortables dans leur rôle de pourvoyeurs et de figures d’autorité, reconnaît Carl Lacharité (Ph.D. psychologie, 89), professeur au Département de psychologie de l’UQTR. Ce sont les femmes qui les ont sollicités à modifier leur comportement dans la sphère intime. Plusieurs hommes ont accepté cette invitation, devenant ainsi des individus significatifs pour leurs enfants, et ce, non plus uniquement sur le plan symbolique.»
La laïcisation de la société québécoise a aussi joué un rôle dans le rapprochement entre le père et sa progéniture. «Autrefois, la famille vivait sous le regard de la communauté. Tous les faits et gestes étaient épiés et l’on devait se conformer aux attentes de la religion», rappelle le sociologue Germain Dulac (Ph.D. sociologie, 91), chercheur à l’École de service social de l’Université de Montréal. «Aujourd’hui, la décision d’avoir des bébés relève du domaine privé et les relations avec les enfants se sont personnalisées», note celui qui s’intéresse à la condition masculine depuis près de 25 ans.
Cette nouvelle proximité père-enfant ne profite pas qu’aux tout-petits. Les nouveaux pères ont désormais la chance de développer d’autres aspects de leur personnalité… sans pour autant sacrifier l’essence même de leur masculinité. «Ce n’est plus considéré comme une antithèse de la virilité que d’avoir un bébé dans les bras, de changer des couches ou de faire le ménage», note avec justesse Carl Lacharité, qui est également directeur du tout nouveau Centre d’études interdisciplinaires sur le développement de l’enfant et de la famille (CEIDEF).
Un projet identitaire
Dans un article intitulé «Présence et affection : l’expérience de la paternité chez les jeunes», paru en 2003, la professeure Anne Quéniart, du Département de sociologie de l’UQAM, note que les jeunes pères s’attribuent désormais «un rôle à multiples facettes». Pour eux, «la paternité est une expérience qui, tout comme la maternité, demande à la fois une présence au quotidien et une projection dans l’avenir ; elle est aussi faite de moments de tendresse, de soins, d’éducation au sens strict et surtout de partage avec la conjointe.»
Cette vision idyllique de la paternité du XXIe siècle se heurte toutefois à des obstacles. La difficulté de faire sa place dans un monde de femmes – les domaines de la santé et des services sociaux sont encore majoritairement féminins – est un de ceux-là. Il existe présentement un «accord de principe» pour inclure pleinement les pères dans les services de santé liés aux enfants, mais en pratique, beaucoup de chemin reste à parcourir, affirme Carl Lacharité. «Il faudra travailler de concert avec les pères, car il est important pour le développement de leur identité paternelle d’affirmer leur différence et faire les choses à leur façon au sein de ce milieu», note celui qui est quatre fois papa et une fois grand-père.
Contrairement à la maternité, qui se vit en partie dans le corps, la paternité est un construit exclusivement culturel et social. «On devient père à travers le regard des autres hommes, de même que par des transformations en soi qui s’opèrent à travers nos relations : avec l’enfant, bien sûr, mais aussi avec notre conjointe et les autres femmes appelées à côtoyer l’enfant», explique le professeur Lacharité. Ce processus, précise-t-il, se répète tout au long de la vie de l’enfant.
Le partage des tâches
Lorsqu’il est question de paternité et de relation avec la conjointe, la division des tâches domestiques est un sujet incontournable… et explosif. «C’est vrai que les gars ne font pas la moitié des tâches au quotidien, mais ils sont plus efficaces que les mères et moins aliénés par la propreté!, s’exclame Germain Dulac. Les féministes devraient nous lâcher les baskets avec la division des tâches. Elles confondent ce qui est bon pour le couple et ce qui est bon pour les enfants.»
«Dire que les hommes sont plus efficaces pour effectuer des tâches que nous accomplissons depuis des millénaires, c’est de l’antiféminisme!, s’insurge Francine Descarries. Selon les dernières études, les femmes effectuent 10 heures de travail domestique de plus que les hommes par semaine. Elles réveillent les petits, les lavent, les habillent, les nourrissent, les véhiculent, leur assurent un intérieur accueillant – ce qui ne signifie pas être obsédée par la propreté -, etc. Toutes ces tâches devraient être partagées par les pères et les mères pour le bien des enfants. Les hommes, malheureusement, n’en sont encore bien souvent qu’aux quatre P : poubelle, pelletage, peinture et pelouse.»
«Ce sont effectivement les femmes qui, majoritairement, prennent en charge ce que j’appelle la fabrication de la vie concrète de l’enfant, tranche Carl Lacharité. Les hommes y participent de plus en plus, mais leur implication demeure symbolique. Ils changent les couches ou s’impliquent dans des activités ludiques qu’ils ont choisies. Pendant ce temps, les femmes s’occupent des activités routinières, souvent plus ingrates, mais indispensables à l’attachement de l’enfant envers ses parents. Bref, les papas devraient s’investir davantage au quotidien.»
Je concilie, tu concilies, nous concilions…
Si les femmes font une plus grande part du travail domestique, les hommes, eux, travaillent toujours un plus grand nombre d’heures par semaine à l’extérieur. Et il est beaucoup plus difficile pour eux de rester à la maison avec un enfant malade, de refuser les heures supplémentaires ou de carrément réduire leur temps de travail. «La culture d’entreprise est le dernier obstacle qui empêche les pères d’être davantage présents auprès de leurs enfants», estime Germain Dulac.
Malgré les améliorations apportées au congé de paternité (cinq semaines) et l’entrée en vigueur, en 2006, du Régime québécois d’assurance parentale, la conciliation travail-famille pose encore problème. «À part ceux qui travaillent dans la fonction publique, la plupart des pères doivent négocier avec leurs employeurs chaque fois qu’ils s’absentent pour des raisons familiales, poursuit Germain Dulac. Plusieurs mentent sur les causes de leur absence. C’est plus accepté de dire que l’on a rendez-vous au garage pour son auto que chez le médecin ou à la garderie pour son enfant!»
«Historiquement, les hommes avaient peur de passer pour des travailleurs de moindre calibre en demandant à d’autres hommes, leurs patrons, d’accepter leur statut de père, explique pour sa part Carl Lacharité. Alors ils choisissaient le travail au détriment de leur famille. On observe toutefois de gros changements à ce chapitre depuis une dizaine d’années.»
Des modèles?
Les nouveaux pères qui souhaitent s’impliquer davantage – il y en a de plus en plus – font face à de nombreux défis afin d’atteindre ce que Francine Descarries appelle une «parentalité équitable». Vers quels modèles ces hommes peuvent-ils se tourner?
Pour Germain Dulac, cette question est purement théorique. «Être parent, c’est s’occuper d’un être vulnérable que l’on doit amener à maturité. Pour cela, les pères ne cherchent pas des modèles, ils souhaitent avant tout obtenir des savoir-faire : comment apaiser leur enfant s’il pleure, comment affronter les crises de l’adolescence. Ils demandent souvent des trucs!»
«A-t-on réellement besoin de modèles?, demande à son tour Francine Descarries. Tout ce qui importe est d’aimer son enfant et lui assurer une sécurité physique, affective et matérielle. Et puis, les nouveaux pères peuvent se référer à leurs propres pères, qui ont brisé le modèle d’antan et tracé la voie.»
«Les pères d’aujourd’hui ont le loisir d’explorer, de fonctionner par essais/erreurs, conclut le professeur Lacharité. Il est rare dans une société que certains rôles sociaux soient à réinventer. C’est le cas présentement pour la paternité.»