Voir plus
Voir moins

Les blues de la maternité

Par Marie-Claude Bourdon

19 octobre 2009 à 0 h 10

Mis à jour le 17 avril 2015 à 15 h 04

Depuis quelques années, le diagnostic de dépression postnatale (DPN) est très «populaire» dans les milieux médicaux, les médias et même chez les femmes, qui recherchent ce diagnostic. Comment expliquer cette popularité? C’est la question qui guide certains des travaux de recherche de Catherine Des Rivières-Pigeon. «Les résultats de mes recherches ne disent pas que la dépression postnatale n’existe pas, précise d’emblée la chercheuse. Ce qui est remis en question, c’est que cette dépression soit différente ou plus fréquente que les autres dépressions et donc qu’elle fasse l’objet d’un diagnostic particulier.»

Quand on vit une dépression après une séparation ou un divorce, on ne dit pas qu’on fait une dépression postdivorce. Pourtant, on sait que les séparations sont une cause majeure de détresse psychologique. Depuis 1994, la dépression postnatale est décrite dans le Diagnostic and Statistical Manual (DSM), la bible des psychiatres. On en parle dans les médias et des vedettes, comme Brooke Shields, ont écrit des livres pour raconter leur expérience de la DPN. «Tout le discours sur la DPN insiste sur les déterminants individuels et biologiques de ce problème, souligne la sociologue. Quand on dit dépression postnatale, on pense tout de suite déséquilibre hormonal.»

Or, la littérature est claire, affirme la chercheuse : la DPN n’est pas plus biologique que les autres dépressions et s’explique par une conjonction de facteurs. «Dans son livre, Brooke Shields raconte qu’elle n’avait pas de problèmes, que son bébé était désiré et que la DPN est arrivée dans sa vie comme un ouragan, relate Catherine Des Rivières-Pigeon. En réalité, c’est rarement aussi glamour. La DPN, comme les autres dépressions, survient beaucoup plus souvent dans un contexte d’isolement et de pauvreté.»

Des déterminants sociaux

La chercheuse, qui a complété un doctorat en santé publique sur les déterminants sociaux de la DPN, a aussi mené, en collaboration avec une collègue italienne, une étude montrant que les mères italiennes sont moins sujettes que les québécoises à vivre une dépression en période postnatale. Leur hypothèse? «En Italie, une naissance entraîne une mobilisation de l’entourage féminin de la mère, souligne la sociologue, mère, sœurs, amies ou cousines vont venir l’aider. Au Québec, où la famille nucléaire est davantage refermée sur elle-même, on compte beaucoup plus sur l’aide du conjoint. Mais si le conjoint est absent ou pas aussi présent que souhaité, la mère est très isolée.»

Si l’on a décidé d’attribuer un diagnostic spécifique à la dépression survenant en période postnatale, on pourrait croire que c’est parce que cette période y est plus propice. Or, il n’en est rien. «Une étude de Najman et al parue en 2000 montre que pendant la période postnatale, loin d’observer un pic dans l’incidence de la dépression, on constate plutôt un creux», explique la sociologue. Avec une autre chercheuse, elle a elle-même démontré, en suivant des femmes pendant une période de trois ans après la grossesse, que le taux de dépression augmentait avec l’âge de l’enfant. «En 2004, la revue The Lancet a publié un éditorial disant que la DPN ne semblait pas très utile en tant que concept médical», signale Catherine Des Rivières-Pigeon.

Une vision idéaliste

Si ce concept a peu de valeur sur le plan scientifique, pourquoi est-il si courant? «Le discours sur la DPN est lié à une vision idéaliste de la maternité, observe la chercheuse. La naissance étant perçue comme quelque chose de nécessairement très positif, la dépression d’une mère qui vient d’accoucher paraît inconcevable. Dans ce contexte, le diagnostic de DPN est très déculpabilisant.»

Selon Catherine Des Rivières-Pigeon, le diagnostic de DPN a des effets positifs. En effet, il facilite la reconnaissance de la dépression à ce moment de la vie et sa prise en charge. Mais il a aussi des conséquences négatives. «En mettant l’accent sur l’aspect biologique de la dépression, il amène des solutions surtout biologiques, c’est-à-dire médicamenteuses, note la chercheuse. Ensuite, ce diagnostic masque la réalité, qui est que les mères sont plus souvent déprimées à d’autres moments de la vie. Or, il faudrait mener des recherches, peut-être du côté de la conciliation travail-famille, qui nous aideraient à prévenir la dépression chez les mères.»