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Le poids santé : un mythe?

Par Dominique Forget

8 septembre 2009 à 0 h 09

Mis à jour le 17 avril 2015 à 15 h 04

Les médecins ne devraient pas se fier aux apparences lorsqu’un nouveau patient se pointe dans leur bureau. Deux individus obèses, dont les habitudes de vie sont à peu près identiques, peuvent cacher des bilans de santé entièrement différents. «Il existe des individus qui sont physiquement obèses, mais qui, du point de vue métabolique, sont en bonne santé», explique Antony Karelis, professeur au Département de kinanthropologie. Selon les études épidémiologiques, jusqu’à 31 % des obèses pourraient tomber dans cette catégorie!

Obèse «à l’intérieur»

L’inverse est aussi vrai. Un individu de poids normal peut être obèse «à l’intérieur», c’est-à-dire présenter des risques élevés de développer un diabète de type 2 ou des maladies cardiovasculaires. Jusqu’à 24 % des personnes qui ont un indice de masse corporel inférieur à 25 kg/m2 correspondraient à ce profil. «Chez ces individus, les risques peuvent passer inaperçus pendant des années, souligne le chercheur. Le jeune âge et le poids normal du patient masquent les besoins de dépistage précoce et de traitement.»

Antony Karelis croit que l’expression «poids santé» devrait être reléguée aux oubliettes. L’indice de masse corporelle (qui se calcule en divisant le poids en kilogrammes d’une personne par sa taille en mètres élevée au carré) devrait aussi être utilisé avec discernement. «Les médecins s’y fient parce que c’est très facile à mesurer. Mais rien ne vaut une prise de sang.» La mesure d’indicateurs comme le HDL (le «bon» cholestérol), le LDL (le «mauvais» cholestérol), les triglycérides (le gras dans le sang), la sensibilité à l’insuline et certains marqueurs d’inflammation restent le meilleur moyen d’identifier si un patient est à risque ou non de développer le diabète ou des maladies cardiovasculaires.

Étude clinique

Comment expliquer qu’un individu obèse soit à l’abri des risques pour sa santé? C’est la question qui taraude le jeune chercheur, financé par le Fonds de la recherche en santé du Québec. A priori, il semble que certaines protéines, actives à l’intérieur des cellules, arrivent à capter les gras et à les garder prisonniers dans le tissu adipeux sous-cutané. Quand ces protéines sont moins efficaces, les gras sont libres de voyager dans le sang et de se diriger vers les organes vitaux comme le cœur, le foie, le muscle ou le pancréas.

Pour en avoir le cœur net, Antony Karelis est en voie de recruter 100 femmes obèses post-ménopausées, âgées entre 50 et 70 ans, sédentaires et non diabétiques. Chacune se soumettra à une biopsie qui permettra de prélever un peu de tissus adipeux au niveau de son abdomen. L’équipe de recherche analysera l’activité de plus de 200 protéines à l’intérieur des cellules, comparant les femmes qui présentent un profil métabolique santé à celles qui présentent un profil à risque. Une seconde biopsie servira à prélever un échantillon de tissus musculaires, pour tenter de comprendre pourquoi certaines femmes arrivent à facilement transporter le glucose à l’intérieur de leurs muscles (et sont donc protégées contre le diabète de type 2) alors que d’autres présentent une résistance à cette assimilation. Cette étude clinique est menée en collaboration avec le Dr Rémi Rabasa-Lhoret, de l’Institut de recherches cliniques de Montréal.

Prudence

Les éventuelles découvertes du professeur Karelis pourraient, à terme, avoir une influence sur la façon de prévenir ou de traiter le diabète et les maladies cardiovasculaires. «On espère avoir un impact sur l’approche des médecins envers leurs patients. Nos recherches antérieures ont montré que la perte de poids chez les obèses qui présentent un profil métabolique santé est non seulement inutile, mais qu’elle peut être nuisible.»

Le chercheur a soumis un groupe de femmes obèses à un régime hypocalorique de six mois avant de tirer ces conclusions. Il compte mener sous peu une étude clinique similaire, en soumettant des femmes obèses à un programme de musculation d’une durée de quatre mois.

Antony Karelis, qui prévoit s’attaquer plus tard à l’étude des individus de poids normal et dont le profil métabolique est à risque, fait preuve de prudence lorsqu’il évoque les résultats de ses recherches. «On ne veut surtout pas encourager l’obésité. Dans la plupart des cas, la perte de poids et l’activité physique sont souhaitables pour la santé. Il faut pousser les études plus loin afin d’établir clairement chez quels patients elles sont moins indiquées.»