Un futur papa qui prend du poids durant la grossesse de sa conjointe, c’est du déjà-vu. Mais un futur papa qui éprouve des nausées, développe des maux de dos ou expérimente des rages de bouffe? Voilà qui est plus surprenant! Ces symptômes sont pourtant bien réels et intéressent la chercheuse en psychologie Marilyne Savard, qui en a fait le sujet de ses recherches de doctorat, d’orientation psychanalytique, menées sous la direction de la professeure Marie Hazan.
«Le passage à la paternité est une étape cruciale dans une vie et les futurs pères vivent parfois des conflits intérieurs, explique la chercheuse. Ces conflits ont deux origines, l’une sociale et l’autre psychologique.»
L’image du père
Tout le monde s’entend sur un point : le rôle du père a changé depuis un demi-siècle. «Au Québec, avant la Révolution tranquille, le père était le chef de famille, le pourvoyeur, un symbole d’autorité, rappelle la doctorante. Le père possédait un statut bien défini au sein de la famille.»
Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le rôle du père s’est modifié au fil des ans, dans la foulée, notamment, de la pilule contraceptive, du mouvement féministe, de la législation concernant le divorce et du remplacement, en 1977, de la notion de «puissance paternelle» par celle «d’autorité parentale» dans le Code civil du Québec. «Chacun définit aujourd’hui sa paternité sur un mode autoréférentiel, à partir de ses propres valeurs, explique Marilyne Savard. Ce qui est certain, c’est que pour plusieurs pères, l’absence de modèles peut être angoissant.»
Conflits irrésolus
Le passage à la parentalité soulève parfois des questionnements existentiels, note la chercheuse. Serai-je un bon père? Est-ce que j’aime mon métier? Suis-je heureux? «Au niveau psychanalytique, on a observé chez les pères un retour d’enjeux plus ou moins réglés qui remontent à l’enfance et qui tendent à se rejouer durant la grossesse de leur conjointe.»
C’est le cas des symptômes de la couvade somatique, qui ont été étudiés dans les années 1960 en Angleterre. «Dans sa relation d’identification à sa mère, le petit garçon croit qu’il a la même capacité de porter un bébé. Inconsciemment, on peut penser que certains hommes ont encore ce fantasme, qu’ils n’y ont pas renoncé en acceptant les limites de leur sexualité et de leurs capacités génitrices.» Ainsi, certains pères en devenir développent des symptômes psychosomatiques associés à la grossesse, particulièrement au premier et au troisième trimestre : prise de poids, troubles gastro-intestinaux, nausées, rage d’aliment, orgelet, etc. «Un père m’a raconté qu’il se frottait le bas du dos et adoptait une posture identique à sa conjointe, c’est réellement fascinant!»
La recherche de Marilyne Savard s’effectue sur un mode exploratoire. Elle souhaite constituer un échantillon de 10 hommes, âgés entre 25 et 40 ans, qui seront pères pour la première fois et qui manifestent l’un des deux symptômes suivants : une prise de poids ou une modification de leur vie sexuelle.
Car d’autres enjeux sont d’ordre sexuel, notamment liés au complexe d’Œdipe. «Entre quatre et huit ans, le petit garçon est amené à comprendre qu’il existe une différence entre les sexes et une différence entre les générations, rappelle Marilyne Savard. Il ne peut pas désirer la mère comme il le souhaite puisque c’est le père qui est l’objet d’amour de la mère. Le petit se détourne alors et va investir le social.» Chez les hommes au complexe d’Œdipe irrésolu, la conjointe enceinte devient la représentation de la mère, d’où un malaise à avoir des relations sexuelles durant la grossesse.
«On note aussi l’apparition de nouvelles pulsions ou émois sexuels, qui peuvent se traduire, par exemple, par un penchant exhibitionniste, des relations extraconjugales ou des relations homosexuelles, ajoute la jeune chercheuse. Tout cela dénote la présence de conflits psychiques.»