Jonathan Lachance a grandi en banlieue de Québec, dans un bungalow. «Ce mode de vie m’a toujours paru aller de soi, du moins jusqu’à ce que je m’intéresse de plus près à cette forme d’architecture, peu étudiée et pourtant fascinante», affirme le doctorant en histoire de l’art, qui a déposé au printemps dernier un mémoire de maîtrise sur l’histoire architecturale des bungalows d’ici.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement canadien a mis en branle un programme visant à construire des petites maisons pour les ouvriers, tout à côté des usines de pièces et d’armement, explique Jonathan Lachance. «Le premier programme de la Société canadienne d’hypothèque et de logement (SCHL), en 1946, visait d’abord à transformer ces maisons d’ouvriers en maisons individuelles pour les vétérans. On a ensuite adapté ce type de maisons à la classe moyenne.»
Ces maisons sont construites sur un plan rectangulaire ou carré, avec un étage et demi et un toit à deux versants. «Toutes les villes de banlieue ont des maisons qui se rapprochent, de près ou de loin, des modèles diffusés par la SCHL», souligne le jeune chercheur.
La SCHL, précise-t-il, n’a jamais construit de maisons – elle avait d’abord un rôle de prêteur hypothécaire. En revanche, elle a fourni ses recommandations quant aux modèles et aux normes de construction à respecter, et ce, pendant plusieurs années. Ce sont les catalogues de la SCHL, publiés entre 1946 et 1974 et renfermant ces modèles, qui ont constitué le corpus d’études de Jonathan Lachance.
Monsieur Canada et les Modernes
Dès 1946, la SCHL a lancé un concours d’architecture afin de concevoir la maison idéale pour la famille canadienne. Ce concours a donné lieu à la création d’un client fictif, ou occupant-type de la maison, Monsieur Canada, qui possédait un budget de 6 000 $ pour une maison logeant sa femme et ses deux enfants. «Monsieur Canada n’avait pas d’exigences esthétiques, souligne Jonathan Lachance. Il souhaitait seulement que la maison soit construite avec des matériaux solides et peu chers.»
Au milieu des années 1950, les modèles offerts dans les catalogues de la SCHL intègrent peu à peu des principes architecturaux du mouvement moderne européen. «La montée du nazisme avait fait fuir plusieurs architectes du Bauhaus, qui sont venus enseigner dans les écoles d’architecture et dans les universités américaines, explique-t-il. Des architectes d’ici ont étudié aux États-Unis et l’influence de ces grands maîtres, dont Walter Gropius et Mies Van der Rohe, se fait sentir : toits plats, grands espaces vitrés, plans symétriques, etc. C’est à ce moment que l’on voit apparaître les principes de «zonage» de la maison comme, par exemple, la division entre les espaces privés/publics ou bruyants/silencieux.»
Monotones, les banlieues?
Jonathan Lachance a relevé que plusieurs publications, dès les années 1960, ont blâmé la SCHL comme étant responsable de la monotonie des banlieues. «J’ai voulu remettre en perspective la contribution de la SCHL dans l’architecture des bungalows, dit-il. Oui, elle était la seule agence canadienne autorisée à émettre des principes et des recommandations sur le sujet, mais les constructeurs étaient libres de les adapter.» Or, par souci d’économie sans doute, ils s’y sont conformés. Bref, la monotonie est le résultat du programme de la SCHL appliqué à la lettre, même si la SCHL n’a pas construit de maisons. Par contre, son intervention aura permis d’augmenter la qualité de vie de la classe moyenne, qui a ainsi pu accéder à la propriété à moindre coût.
Aujourd’hui encore, l’achat d’une maison représente le signe de la réussite pour plusieurs Québécois. «Pour ma part, j’ai exorcisé cet idéal en constatant que l’accès à la propriété fut d’abord et avant tout un projet idéologique, conclut Jonathan Lachance. Il s’agissait d’intégrer la classe moyenne à la société de consommation et au mode de vie de la banlieue nord-américaine, alors en plein essor.»
Dans le cadre de son doctorat, le jeune chercheur se penche désormais sur la réaction des architectes canadiens à la crise environnementale au cours du dernier quart du XXe siècle.