Aux yeux de plusieurs observateurs, la fièvre obamienne n’est pas sans évoquer l’émergence du mouvement afro-américain des années 1960. Mais attention, la prise de conscience identitaire des Martin Luther King, Malcolm X et Jesse Jackson avait ceci de particulier qu’elle prenait sa source dans une communauté qui partageait d’abord et avant tout une identité raciale. L’Obamania, elle, ne se confine pas à l’appartenance ethnique. Elle réunit des gens de toutes origines et de tous horizons qui capitalisent, entre autres, sur une idéologie pacifiste et anti-Bush.
Le concept d’identité aurait-il pris un tournant qui débouche sur la voie d’une appartenance plus large? Pour débattre de la question, Simon Harel, professeur au Département d’études littéraires de l’UQAM et directeur intérimaire du Centre interuniversitaire d’études sur les lettres, les arts et les traditions (CELAT) à l’UQAM, et Caroline Désy, sociologue et coordonnatrice du CELAT, organisent le colloque intitulé Traces d’appartenance : de nouvelles avenues pour la recherche sur la construction des identités, les 13 et 14 mai dans le cadre du congrès annuel de l’ACFAS.
«Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la notion d’identité est au cœur des grands débats sociaux mais aujourd’hui l’expression paraît usée et désincarnée tellement son sens est devenu large, soutient Caroline Désy. C’est presque devenu une coquille vide.»
Avec le temps, les notions bougent et évoluent. «Dans un récent discours, fait remarquer Simon Harel, Michael Ignatieff parlait d’un pluralisme identitaire plutôt que de multiculturalisme. Cette notion de multiculturalisme apparaît aujourd’hui comme une nostalgie du passé, une façon de conserver des fétiches.» Il ne suffirait donc plus de se demander qui nous sommes. Il serait devenu nécessaire de faire un lien entre les individus, leurs communautés et leurs territoires. D’où l’idée d’élargir la notion identitaire à celle de l’appartenance.
Comment mieux vivre ensemble?
Selon Caroline Désy, la question identitaire n’est pas quelque chose d’inné, mais bien plutôt un concept qui se crée, se développe et se transforme. «L’héritage culturel, dit-elle, n’est que le point de départ de ce qui prendra la forme d’une appartenance, au fil du temps et en fonction des interrelations que l’on développe avec son entourage.» Les marqueurs d’appartenance peuvent être très variés. Pensons, par exemple, aux graffitis qui tapissent les murs de certaines zones urbaines. Ils constituent une façon de se définir et de créer un sentiment d’appartenance.
Pour illustrer le propos de sa collègue, Simon Harel pose une question. «Un immigrant de deuxième ou de troisième génération s’identifie-t-il toujours au patrimoine arménien de ses grands-parents? Il semble que cela ne constitue plus qu’une trace d’appartenance.»
Aujourd’hui, il faudrait donc se demander comment faire intervenir l’appartenance commune pour forger une nouvelle notion d’identité. Ce questionnement serait l’amorce d’un renouveau dans les politiques touchant les valeurs de la société.
En raison de la globalisation et des mouvements de populations, une appartenance commune ne serait plus envisageable sur une base confessionnelle ou linguistique. «Si, un jour, on devait parler d’un État-nation qui s’appellerait le Québec, estime Caroline Désy, cette nation ne pourrait s’exprimer qu’en fonction d’une appartenance au territoire.»
L’approche du CELAT est pluridisciplinaire et fait appel aussi bien à l’histoire de l’art qu’à l’ethnologie, la littérature, l’histoire, la géographie, l’anthropologie, l’archéologie, la sociologie et les études urbaines. Cette approche devrait permettre de renouveler les perspectives sur la thématique de la construction des identités.