Série Cinquante ans d’histoire
L’UQAM, qui célèbre son 50e anniversaire en 2019-2020, a déjà beaucoup d’histoires à raconter. La plupart des textes de cette série ont été originalement publiés de 2006 à 2017 dans le magazine Inter. Des notes de mise à jour ont été ajoutées à l’occasion de leur rediffusion dans le cadre du cinquantième.
Octobre 1960. Les pères Jésuites provoquent une levée de boucliers en proposant de fusionner les collèges Brébeuf et Sainte-Marie, qu’ils dirigent, pour créer une deuxième université de langue française à Montréal. Au printemps 1961, des professeurs de l’Université de Montréal publient une brochure intitulée L’université dit non aux Jésuites. «Alors que s’amorce la Révolution tranquille et que l’État s’apprête à prendre en charge l’éducation, chasse-gardée de l’Église, il n’est pas question d’établir une université jésuite», rappelle Denis Bertrand, professeur associé au Département d’organisation et ressources humaines de l’UQAM [qui est décédé en 2014]. Denis Bertrand a raconté, avec le professeur du Département d’histoire Robert Comeau [aujourd’hui retraité] les débuts de l’Université dans un livre intitulé La naissance de l’UQAM, publié aux PUQ en 2009.
Animé par une volonté de modernisation et de démocratisation, le gouvernement du Québec vient en effet de lancer une vaste réforme du système d’éducation, soutenue par les travaux de la Commission royale d’enquête sur l’enseignement – la célèbre Commission Parent. En 1964, celle-ci recommande la création d’une deuxième université francophone à Montréal, qui, contrairement aux vœux des Jésuites, sera laïque et publique.
À l’époque, plusieurs facteurs militent en faveur de la création de l’UQAM, explique le recteur [aujourd’hui retraité] de l’UQAM, Claude Corbo. «Comme les enfants du baby-boom arrivaient à l’âge adulte, on prévoyait une croissance importante des effectifs étudiants universitaires vers la fin des années 60 et le début des années 70. Les besoins d’une société québécoise en pleine transformation exigeaient aussi d’accroître la scolarisation des Québécois francophones et de former des adultes qui, jusque-là, n’avaient pu fréquenter l’université à l’âge habituel.»
À la fin des années 1950, seulement 4 % des jeunes francophones âgés entre 19 et 24 ans fréquentent l’université, contre 11 % des jeunes anglophones. La création d’une nouvelle université de langue française est d’ailleurs réclamée par les étudiants qui, en octobre 1968, occupent les cégeps, mis en place un an auparavant. Elle permettra d’en accueillir les premiers diplômés.
L’idée d’une deuxième université francophone à Montréal ne fait toutefois pas l’unanimité. «Si plusieurs personnes appuient le projet pour faire contrepoids aux universités anglophones montréalaises, d’autres soutiennent qu’il vaudrait mieux concentrer les ressources dans une seule université francophone, soit l’Université de Montréal», souligne [l’ancien] recteur.
Malgré ces résistances, le gouvernement du Québec va de l’avant. Conformément aux recommandations du rapport Parent, l’État adopte en décembre 1968 la Loi de l’Université du Québec, qui permet d’établir un réseau de services universitaires non seulement à Montréal, mais dans diverses régions du Québec. Le 9 avril 1969, les lettres patentes créant juridiquement l’UQAM, vaisseau amiral du réseau, sont signées. L’Université naîtra du regroupement du collège Sainte-Marie, de l’École des beaux-arts de Montréal et de trois écoles normales vouées à la formation des enseignants.
«L’UQAM apparaît dans un climat marqué par une certaine improvisation, affirme Robert Comeau. Craignant une nouvelle vague de contestation étudiante, le ministère de l’Éducation fait pression pour qu’elle ouvre rapidement ses portes. Des professeurs sont embauchés au mois d’août 1969 et commencent à enseigner en septembre!»
Démocratisation et accessibilité
La Loi de l’Université du Québec assigne une mission fondamentale à l’UQAM : développer la recherche et des programmes d’enseignement aux trois cycles, contribuer à la formation des maîtres et offrir des services à la collectivité en mettant le savoir universitaire à la portée des groupes de citoyens qui n’y ont pas traditionnellement accès. Mais l’UQAM est également créée pour réaliser cette mission dans une perspective d’accessibilité. «C’est pourquoi elle choisit d’offrir tous ses programmes d’études à temps complet et à temps partiel, d’admettre, sur la base de l’âge et de l’expérience pertinente, des personnes n’ayant pas de diplôme d’études collégiales, d’offrir des cours de jour et de soir, et de s’implanter au centre-ville, à proximité du métro», souligne Claude Corbo. Dix ans plus tard, un sondage révélera que 80,3 % des étudiants de l’UQAM proviennent d’un milieu modeste.
Au tournant des années 1970, période turbulente dans l’histoire du Québec, les idées marxistes triomphent à l’université et «plusieurs professeurs se définissent comme des travailleurs intellectuels au service du peuple», raconte Robert Comeau. Se voulant démocratique et populaire, l’UQAM favorise la gestion participative. «À la Commission des études, instance centrale de l’Université, et dans les conseils de modules, qui ont le pouvoir de modifier les programmes d’études et d’évaluer la qualité de l’enseignement, on applique le principe de la parité entre professeurs et étudiants, note l’historien. Quant aux assemblées départementales, on leur accorde la responsabilité de l’embauche et de l’évaluation des tâches.» Au cours des premières années, cette philosophie participative sera synonyme de conflits retentissants entre la direction, les étudiants, professeurs et employés.
Au départ, trois visions prédominent quant au rôle que doit jouer l’UQAM. D’abord, une vision technocratique, selon laquelle l’université doit être un rouage du développement économique et social de la société québécoise. La deuxième, contre-culturelle, est portée par le rêve de Mai 68 et prône une université nouvelle, caractérisée par des rapports égalitaires et fraternels entre professeurs et étudiants. Selon la troisième conception, plus socialisante, l’université doit être un ferment de transformation de la société. «Ces visions s’affrontent dans les débats de l’époque, rappelle Claude Corbo. Tout au long de son histoire, l’UQAM a été une sorte de sismographe, reflétant les mutations sociales et culturelles de la société québécoise.»
Le sceau de l’interdisciplinarité
L’UQAM hérite à sa naissance de quelques grands domaines disciplinaires légués par les cinq établissements fondateurs – sciences de l’éducation, arts plastiques, humanités et sciences humaines. Mais l’ouverture du pavillon des sciences, en décembre 1971, démontre qu’elle entend occuper rapidement l’éventail le plus large possible des champs d’enseignement et de recherche. À côté des programmes traditionnels, l’UQAM développera aussi des créneaux novateurs, marqués au sceau de l’interdisciplinarité : communications, danse, sexologie, études urbaines et touristiques, sciences de l’environnement, études féministes.
«L’UQAM ne partait pas de zéro, mais la construction d’une unité institutionnelle n’allait pas de soi, dit Denis Bertrand, qui a agi comme directeur de module et de département, puis comme doyen des études avancées et de la recherche. L’Université héritait de conceptions et de traditions d’enseignement très différentes d’un secteur à un autre. De plus, rares étaient les personnes qui possédaient de l’expérience en gestion universitaire. Il fallait apprendre sur le tas et innover.»
Au sein du ministère de l’Éducation et dans d’autres universités montréalaises, certains se demandent s’il ne faudrait pas cantonner l’UQAM au premier cycle et laisser les études de cycles supérieurs aux établissements déjà existants. «Dans le réseau de l’Université du Québec, où l’UQAM doit aussi s’imposer, des responsables proposent même de créer une sorte d’École supérieure offrant des programmes de maîtrise et de doctorat aux diplômés de premier cycle issus des constituantes du réseau», raconte Claude Corbo. Mais l’UQAM persiste et signe. Elle innove en privilégiant la voie des partenariats avec d’autres universités pour créer des programmes conjoints de deuxième et troisième cycles, comme ce sera le cas en administration, en muséologie et en communication. À l’automne 1979, 10 ans à peine après sa création, l’UQAM dispense 23 programmes de maîtrise et 5 de doctorat.
La constitution d’un véritable campus au cœur de Montréal représente un autre défi de taille pour la jeune université. En 1969, «l’UQAM était un rêve éparpillé dans une dizaine de vieux édifices, sur une distance de cinq kilomètres», souligne le recteur. Après avoir jonglé avec l’idée d’installer l’UQAM sur l’île Sainte-Hélène ou dans l’est de la ville, le choix s’arrête finalement sur le centre-ville, dans l’ancien quartier latin où s’élevaient jadis un pavillon de l’Université Laval, puis les premiers bâtiments de l’Université de Montréal, avant que celle-ci ne déménage ses pénates sur un des versants du mont Royal. Avec l’inauguration des pavillons Judith-Jasmin et Hubert-Aquin, en 1979, l’UQAM acquiert pour la première fois des bâtiments qui lui sont propres, ce qui raffermit le sentiment d’appartenance de sa communauté.
Pour Claude Corbo, l’UQAM est parvenue au fil des ans à réaliser le volet social de sa mission d’origine, soit accroître la scolarisation des adultes, des femmes en particulier, et donner une formation universitaire aux futurs enseignants du primaire et du secondaire. Sa mission d’accessibilité prend aujourd’hui des formes différentes, affirme-t-il. «Nous devons intégrer les enfants de la loi 101, intensifier la formation aux cycles supérieurs et répondre aux besoins actuels et prévisibles de la société, notamment par une présence plus forte en sciences.»
L’UQAM, poursuit [l’ancien] recteur, a pour responsabilité de développer des connaissances de pointe, de questionner la société et de transmettre à ses étudiants un savoir, des habiletés intellectuelles et un solide bagage culturel. «Sa plus grande contribution à la société québécoise, dit-il, est d’avoir assuré la formation de 200 000 diplômés [l’UQAM en compte aujourd’hui plus de 266 000]. En 40 ans, elle a réussi à s’épanouir comme une université francophone inscrite dans la tradition millénaire des universités, tout en conservant une personnalité distinctive.»
Source:
INTER, magazine de l’Université du Québec à Montréal, Vol. 7, no 1, printemps 2009.