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Entre l’art et l’information

Par Claude Gauvreau

16 novembre 2009 à 0 h 11

Mis à jour le 17 avril 2015 à 15 h 04

Des soldats plantent le drapeau américain au sommet d’une colline sur l’ile d’Iwo Jima, pendant la Seconde Guerre mondiale. Une jeune Vietnamienne, brûlée par le napalm, court nue sur une route de campagne. Ces photos de presse, devenues canoniques, sont restées gravées dans la mémoire collective. Pourquoi? Pour leur valeur informative ou à cause de leurs qualités esthétiques? Ces questions sont au centre d’une étude de Vincent Lavoie, professeur au Département d’histoire de l’art depuis 2005.

Ce jeune chercheur s’intéresse aux représentations visuelles contemporaines des événements d’actualité, notamment aux rapports que la photographie entretient avec les arts visuels et les médias. Sa recherche porte sur la genèse de l’excellence en photojournalisme et sur ses manifestations les plus ostentatoires, soit les remises de prix et autres célébrations du mérite. «Quand on fait l’histoire de la photographie, on touche à toutes les pratiques photographiques, pas seulement celles à caractère artistique, dit Vincent Lavoie. Multisectorielle, l’image photographique mobilise plusieurs savoirs. C’est ce qui fait sa richesse.»

Moments forts

Apparu au début du XXe siècle, le photojournalisme a évolué de manière autonome, parallèlement à la photographie artistique. «Le mandat d’information du photojournalisme apparaissait incompatible avec la création artistique qui se veut libre de toute fonction utilitaire», explique le professeur. Les photos de presse, toutefois, n’ont pas toujours été perçues comme des véhicules d’information sérieux, ajoute-t-il. «Au début, les photojournalistes ont dû défendre la probité de leurs images en soutenant qu’elles n’avaient rien de décoratif. Le photojournalisme a bâti sa crédibilité en partie sur le refoulement de sa composante esthétique.»

Les premiers prix en photojournalisme ont été créés dans les années 40 et 50 : 1942 pour le prix Pulitzer et 1955 pour ceux du World Press Photo. Au moment où la télévision apparaît, ces distinctions contribuent à asseoir la légitimité du photojournalisme. Les concours honorent les auteurs d’images emblématiques de faits d’actualité récents, essentiellement des photographies de guerre et de catastrophes. «Les événements dramatiques sont toujours porteurs d’un des principaux ingrédients de la nouvelle : l’intérêt humain. Ils convoquent également la plupart des mythes associés à la croyance en la fatalité», note Vincent Lavoie.

Que récompense-t-on en attribuant ces prix? Le photographe, l’image ou l’événement? Les critères des jurys, dit le chercheur, relèvent d’une alchimie un peu étrange de considérations à la fois éthiques (courage, abnégation, intégrité du photographe) et esthétiques (valeur narrative, composition et beauté plastique de l’image).

«C’est le moment capté qui fascine, plus que l’image elle-même, poursuit Vincent Lavoie. Comme si la photo servait de relais pour nous plonger dans des moments forts de l’histoire.» Quant aux photojournalistes, on retient rarement leurs noms. Dans les années 1920-30, ceux-ci n’apparaissaient pas sous les photos. Il a fallu que des agences comme Magnum soient créées pour que leurs droits soient reconnus. Les photojournalistes célèbres – Robert Capa ou Don McCullum – représentent d’ailleurs une minorité.

Une tradition artistique

Selon Vincent Lavoie, «les concours de photojournalisme, en tant que rituels honorifiques, sont les héritiers des salons de peinture qui, depuis le XVIIe siècle, couronnent le talent et l’originalité.» En ce sens, ils s’inscrivent dans le prolongement d’une tradition bien ancrée dans l’histoire de l’art. «Les expositions annuelles des photos lauréates du World Press Photo s’apparentent à ces salons. Leur popularité tient au fait que le public détient déjà les clés de compréhension des images qui sont montrées, puisqu’elles représentent des événements connus.»

Aujourd’hui, la presse écrite et les médias électroniques sont de plus en plus friands d’images captées par des photographes amateurs. Lors des attentats terroristes commis à Londres en 2005, des victimes s’étaient elles-mêmes photographiées à l’aide de leur téléphone mobile. Ce phénomène, qui inquiète les associations professionnelles de photojournalistes, n’est pas si nouveau, observe Vincent Lavoie. «En 1947, un étudiant américain avait croqué l’image d’une femme se jetant par la fenêtre pour échapper aux flammes d’un incendie. Il était au bon endroit au bon moment et avait remporté le prix Pulitzer de photographie!»