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Darwin, la religion et la science

Par Marie-Claude Bourdon

6 avril 2009 à 0 h 04

Mis à jour le 17 avril 2015 à 15 h 04

Dans une lettre datée du 20 mars dernier, l’Association des communicateurs scientifiques du Québec (ACSQ) réclame la démission du ministre fédéral des Sciences et des Technologies, M. Gary Goodyear. L’Association juge en effet indignes d’un ministre censé représenté la science les propos que celui-ci a tenus sur l’évolutionnisme dans une entrevue accordée au journal The Globe and Mail. Gary Goodyear a en effet refusé de dire s’il croyait à la théorie de l’évolution de Charles Darwin, alléguant qu’il n’avait pas à répondre à une question touchant ses croyances religieuses. La question, a-t-il dit, n’était pas pertinente!

«Faire de la théorie de l’évolution une question d’opinion ou de croyance, c’est montrer qu’on ne comprend rien à la science!, s’exclame l’historien des sciences Yves Gingras. Une théorie, on peut la démontrer ou la réfuter en s’appuyant sur des faits; la question n’est pas d’y croire ou de ne pas y croire. Or, la théorie de Darwin n’a pas encore été réfutée.»

Les conservateurs et Darwin

En cette année de commémoration de la naissance de Charles Darwin (1809-1882) et de la publication de l’un des ouvrages marquants de l’histoire de la science, De l’évolution des espèces (1859), il est inacceptable qu’un ministre responsable des budgets destinés à la recherche mette en doute la validité de la théorie darwinienne, s’indigne l’ACSQ. Mais Gary Goodyear n’est pas seul dans son camp. Le 3 mars dernier, plusieurs députés du Parti conservateur se sont opposés à une motion du Bloc québécois soulignant le 200e anniversaire de naissance de Darwin.

Pourquoi la théorie darwinienne crée-t-elle tant de remous, encore aujourd’hui? Pourquoi la théorie du Big Bang, par exemple, ne suscite pas la même controverse? «On peut croire que Dieu a créé le Big Bang et donc croire que tout ce qui en découle vient de Dieu, répond Yves Gingras. Ce qui dérange, dans la théorie de Darwin, ce n’est pas l’idée de l’évolution en soi. C’est l’explication qu’il en donne.»

Au hasard des mutations

Dans une population donnée, de petites différences, dues au hasard des mutations (ce que la génétique a confirmé depuis Darwin) apportent certains avantages qui, selon le hasard des conditions naturelles, feront que certains individus seront mieux adaptés et auront davantage de chances de transmettre leurs caractéristiques à leurs descendants. C’est le mécanisme de la sélection naturelle, largement démontré, qui sert de fondement à la théorie darwinienne. «Le darwinisme est révolutionnaire parce que, en faisant intervenir la sélection naturelle, Darwin fait disparaître Dieu, dit Yves Gingras. L’idée que l’évolution est due au hasard est en effet très difficile à concilier avec une position voulant que l’évolution soit dirigée vers une finalité, qui est l’apparition de l’être humain.»

Selon l’historien des sciences, la plupart des opposants à Darwin ne sont pas des créationnistes purs et durs tels qu’on nous les présente dans les médias. «Seule une petite minorité fondamentaliste pense que le monde et toutes les espèces ont été créés en six jours il y a six mille ans, dit Yves Gingras. En fait, plusieurs opposants à Darwin admettent que du singe à l’homme, il y a eu une évolution. Ce qu’ils contestent dans sa théorie, c’est le rôle central qu’y joue le hasard.»

Le dessein intelligent

Lors d’un colloque tenu au mois de mars dernier sur la théorie de l’évolution, des théologiens du Vatican ont discuté du «dessein intelligent», une «théorie» qui se donne les apparences de la science et qui tente de réconcilier croyances religieuses et évolutionnisme en remplaçant le hasard par la main de Dieu. «Les adeptes du dessein intelligent parlent d’une complexité intrinsèque qui nécessiterait l’intervention de Dieu pour que l’évolution suive son cours jusqu’à l’homme, explique Yves Gingras. Le problème, c’est que cette explication ne se situe pas sur le terrain de la science.»

Pour qu’une théorie mérite l’étiquette de scientifique, elle doit reposer sur des faits observables. C’est une condition essentielle. «Or, dès qu’on explique un phénomène par autre chose qu’un phénomène naturel, par exemple Dieu, on quitte le terrain de la science», réitère Yves Gingras.

Régulièrement, l’historien est invité à donner une conférence sur Darwin, la science et la religion dans les cégeps. «Aux États-Unis, les créationnistes se battent au niveau institutionnel pour le contrôle des programmes d’enseignement parce que les écoles contrôlent leurs programmes, dit-il. Ici, le programme est national et on n’a pas ce problème. Ce qui interpelle les enseignants, par contre, c’est la notion de relativisme culturel : comment parler de la science sans heurter les croyances de certains étudiants? C’est pourquoi il est très important de faire la distinction entre science et religion et de rappeler que la science n’est pas une affaire de croyance.»